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MARIANNE – Grève du contrôle continu du bac : bombe à retardement

Entretien avec Jean-Rémi GIRARD dans le journal Marianne
Publié le 04/02/2020
Propos recueillis par Anthony Cortes
Depuis le 20 janvier et jusqu’au 28 février, les premières épreuves de contrôle continu du nouveau baccalauréat se déroulent dans un climat de tension entre professeurs grévistes et rectorats. Jean-Rémi Girard, président du SNALC, presse le gouvernement d’agir pour éviter l’escalade.

La fronde se poursuit. En cause : les toutes premières épreuves de contrôle continu (E3C) du nouveau baccalauréat dessiné par le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer. Dans tout le pays, de nombreux professeurs mécontents s’activent depuis le coup d’envoi de ces examens, le 20 janvier dernier. Grève de la surveillance, refus de sélectionner les sujets, blocages d’établissements… Tous les moyens sont bons pour signifier leur mécontentement face à une évolution que les syndicats jugent “improvisée”. Selon Jean-Rémi Girard, président du SNALC, syndicat du secondaire, le climat dans les établissements est particulièrement irrespirable. Il appelle le gouvernement à l’action et demande un “dialogue constructif plutôt qu’une communication basée sur le déni des difficultés rencontrées dans les établissements et sur les menaces de sanctions”.

Entretien

Marianne : Le SNPDEN, syndicat des chefs d’établissement, pointe que 30% des lycées sont concernés par les mouvements de protestation autour des E3C. Cette estimation vous paraît-elle juste ?

Jean-Rémi Girard : Ce chiffre me paraît juste, mais il pourrait encore grossir. Dans certains établissements, ces épreuves ne se sont pas encore déroulées. Ce qui est certain, c’est que nous sommes dans un mouvement véritablement massif. D’autant qu’il faut préciser qu’un certain nombre de professeurs qui ne participent pas au mouvement, que ce soit pour préserver les élèves ou pour des raisons financières, sont également très réservés à propos des E3C. C’est quelque chose que l’on ressent sur le terrain.

Marianne :Quel mode d’action a finalement eu la préférence des professeurs grévistes ?

Jean-Rémi Girard : Pour le moment, en ce qui concerne les modes d’action légaux, seules méthodes que nous soutenons au Snalc, on observe majoritairement un refus de transmettre les sujets et la grève de la surveillance. Et à l’avenir, il y aura certainement une grève des corrections à prévoir si rien ne bouge d’ici là.

Marianne : Que risquent ces professeurs, concrètement ?

Jean-Rémi Girard : Il faut voir au cas par cas. Ceux qui font la grève de la surveillance, par exemple, ne sont absolument pas dans l’illégalité. Ils font simplement le choix de faire un jour de grève en sachant très bien qu’ils auront un jour de traitement en moins. Sur les corrections, c’est la même chose. D’ailleurs, on a bien vu, au printemps dernier, que les enseignants qui ont eu des soucis sont ceux qui ont fait de la rétention de copie. En revanche, ceux qui ont annoncé en amont qu’ils ne voulaient pas en corriger ne sont pas passés en commission disciplinaire. Ceux qui s’exposent sont surtout les professeurs qui s’impliquent dans l’organisation de blocages, risquant très clairement une sanction disciplinaire. C’est pourquoi je pense qu’il faut se concentrer sur les actions légales pour que ni le ministère ni les rectorats ne puissent détourner l’attention vers certains incidents.

“Il ne faut pas oublier non plus les élèves qui, face à ces événements, absorbent toute cette tension”

Marianne : À Clermont, cinq enseignants ont été convoqué au commissariat de police suite à la plainte de l’Education nationale pour “intrusion non autorisée dans un établissement” afin de protester contre les E3C. Est-ce que cela dit quelque chose sur le climat qui règne entre le personnel et le ministère ?

Jean-Rémi Girard : Je tiens d’abord à préciser que les représentants du Snalc ont participé à cette action, mais ne sont pas rentrés dans l’établissement. Nous restons dans un cadre légal, même si nous soutenons les revendications affichées. Mais ces événements soulignent un climat incroyablement tendu. Il y a eu la grève du bac en fin d’année dernière, la réforme des retraites, les E3C… Et désormais nous attendons que les dotations horaires arrivent et nous savons ce qu’il va probablement arriver : des suppressions de postes dans le second degré, une hausse du recours aux heures supplémentaires, la dégradation des conditions de travail… Quand on regarde le détail de la politique mise en oeuvre, il ne faut pas s’étonner de l’apparition de réactions fortes.

Marianne : Le niveau de tension que vous décrivez est aussi illustré par cette lettre du recteur d’Aix-Marseille qui demande aux proviseurs de rappeler à leurs devoirs les professeurs en état de “rébellion”…

Jean-Rémi Girard : Que l’on soit bien d’accord : il est important que l’institution rappelle le cadre légal. Maintenant, il faut aussi garder la raison. Il n’existe qu’une infime minorité de collègues radicaux. Intéressons-nous plutôt au fait que, cette année, une immense majorité des professeurs sont dans un niveau de tension inédit. Il y a eu les changements des programmes, la suppression des filières traditionnelles, des modalités du baccalauréat. Et face à cette surcharge de travail et la mission d’assurer le service après-vente des réformes du gouvernement, ils apprennent que le paquet de copies corrigé lors des E3C ne leur sera payé que 50 euros. Quand on sait tout cela, il n’est pas délirant d’espérer obtenir un dialogue constructif plutôt qu’une communication basée sur le déni des difficultés d’organisation rencontrées dans les établissements et sur les menaces de sanctions. D’autant qu’à l’arrivée, ça risque de tendre davantage la situation. Il ne faut pas oublier non plus les élèves qui, face à ces événements, absorbent toute cette tension. Ce sont des personnes intelligentes qui comprennent qu’il y a des soucis, que les professeurs n’ont pas pu les préparer convenablement aux différentes échéances, qu’ils n’ont pas toutes les réponses à leurs questions.

Marianne : Dans les établissements, assiste-t-on à une dégradation des relations entre le personnel enseignant et les chefs d’établissements ?

Jean-Rémi Girard : Il peut y avoir des tensions assez marquées, notamment lorsque l’établissement est un lieu de blocage. Mais il y a un certain nombre de lycées où la direction comprend parfaitement. Les proviseurs sont mis en face d’une organisation des E3C très compliquée, notamment en ce qui concerne la numérisation des copies, avec des dotations horaires loin d’être suffisantes…

Marianne : Peut-on envisager des actions de protestation tout au long de l’année, même après les E3C ?

Jean-Rémi Girard : Il faut d’abord savoir que le comité de suivi de la réforme du lycée s’est saisi de la question des E3C. Des propositions d’aménagements de ces épreuves seront sans doute faites le 11 mars. Elles détermineront certainement le climat de la fin de l’année. Mais il est sûr que cela peut être extrêmement tendu puisque plusieurs questions se posent : le devenir des E3C, bien sûr, la question du choix des spécialités des terminales, qui risquent d’installer un climat de concurrence entre les disciplines. Et dans tout ça, il y a la question des retraites et de la rémunération des enseignants où, à la fin de l’année, si nous n’avons pas de réponses précises, écrites et fermes de la part du ministère, les syndicats ne vont pas simplement regarder passer le train… Si le gouvernement ne fait rien, toutes les conditions sont réunies pour que ça explose.

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L’article en ligne sur le site de Marianne : ICI