Affaire du collège d’Issou, signe d’un climat délétère ?
Jean-Rémi Girard, président du SNALC, est l’invité, de Martin Baumer sur Aucoeur de l’info mardi 12 décembre 2023
France info – Martin Baumer
On va maintenant revenir sur ce qui se passe depuis quelques jours, déjà, au collège Jacques Cartier à Issou, dans les Yvelines. Situation tendue après la vive réaction d’élèves, mais aussi de parents, principalement musulmans, mécontents qu’une professeure de français montre en classe un tableau de la Renaissance ; celui-ci représente des femmes dénudées. […] Les cours ont repris aujourd’hui dans ce collège. L’ambiance est-elle pour autant apaisée sur place ?(…) On accueille nos invités pour en débattre Jean-Rémi Girard.
SNALC – Jean-Rémi Girard
Bonjour.
France info – Martin Baumer
Vous êtes président du syndicat national des lycées, collèges, écoles et supérieur. (…)
On parle d’apaisement dans ce collège. La question qui revient peut-être, je me tourne d’abord vers vous, Jean-Rémi Girard. Est-ce que vraiment il faut apaiser les choses ? Ou est-ce qu’il faut s’en prendre à ces gens qui cherchent tout sauf l’apaisement ?
SNALC – Jean-Rémi Girard
Alors il faut les deux, en fait. C’est-à-dire qu’au sein du collège, il faut arriver à retrouver une forme de normalité qui visiblement n’était pas ce qu’il y avait depuis le début de l’année scolaire, puisque on est à un nombre de faits établissements absolument gigantesque dans ce collège. Mais d’autre part, il est bien évident qu’il ne s’agit pas de “s’apaiser” avec des personnes qui remettent en cause la République, qui remettent en cause la laïcité, qui remettent en cause nos valeurs. Et là, c’est normal qu’il y ait des procédures disciplinaires d’une part, avec sans aucun doute, des sanctions à l’arrivée. Et d’autre part, la collègue a porté plainte, donc il va y avoir sans aucun doute aussi un volet judiciaire. Nous allons suivre bien entendu tout ça de très près au SNALC.
France info – Martin Baumer
[…] C’est intéressant, cette question de la sanction pédagogique. Elle est encore aujourd’hui pédagogique la sanction ?
SNALC – Jean-Rémi Girard
Elle peut l’être dans un certain nombre de cas. Mais si elle n’est pas comprise, la sanction pédagogique, c’est très joli sur le papier, mais ça ne marche pas. Le problème est que l’école aujourd’hui n’est clairement pas une source d’autorité dans la société. Ce n’est pas la seule chose qui est vue par nos élèves comme dispensant du savoir, comme étant une autorité. Il y a évidemment une autorité familiale qui parfois va à l’encontre, d’ailleurs, de ce que nous, on peut faire à l’école. Il peut y avoir des autorités religieuses qui souvent vont à l’encontre de ce que nous, on essaye de faire à l’école. Il y a des autorités multiples sur les réseaux.
Franceinfo – Martin Baumer
Cela a toujours existé, les autorités religieuses…
SNALC – Jean-Rémi Girard
Cela a toujours existé, mais les autorités religieuses qui viennent remettre en cause de manière claire les enseignements de la République française, c’est quand même assez présent aujourd’hui. Je me souviens qu’on pouvait lire des revues de l’État islamique qui disaient, en gros, qu’il faut attaquer l’école, qu’enseigner la musique, c’est le mal, faire du sport, c’est pas bien, les sciences de la vie et de la terre, c’est absolument hérétique, etc. On a ça aussi. Donc pour moi, président du SNALC, un syndicat des personnels de l’Éducation nationale, notre priorité numéro 1, c’est la sécurité des personnels. J’entends très bien que des familles et des élèves puissent être en souffrance. Mais je n’ai pas envie qu’on revive Samuel Paty. C’est quand même ça l’objectif principal du SNALC. Donc, on est d’accord qu’il y a des élèves pour lesquels on n’a pas forcément toujours de solution, parce que la solution ne peut pas forcément venir de l’Éducation nationale. On n’a pas de baguette magique pour régler les conflits religieux, pour régler ce qui se passe dans d’autres espaces de la société. On fait ce qu’on peut. On a l’enseignement moral et civique, on essaie d’expliquer la laïcité à nos élèves. On fait plutôt du bon travail. Mais à un moment, quand des élèves, parce qu’ils ont des convictions – et ils ont parfaitement le droit d’en avoir, on a une liberté de conscience dans ce pays – trouvent qu’un tableau les choquent parce qu’il y a des femmes nues dessus, ils peuvent, dans leur fort intérieur, trouver que c’est choquant ; mais qu’ils refusent de le regarder, ça commence à devenir problématique. Et qu’ils accusent un professeur de racisme, là, ça ne va pas. Et je ne suis pas certain que ce soit forcément parce qu’il sont “en souffrance”…, Là, pour le coup, je ne suis pas sûr que le problème de base soit la souffrance de l’élève ni même de la famille ici.(…)
France info – Martin Baumer
Vous avez l’impression, je prolonge la question sur les parents de l’élève, est-ce qu’ils prennent trop de place ou est-ce qu’ils sont à leur place et qu’il faut régler d’autres problèmes ?
SNALC – Jean-Rémi Girard
La question sur les relations avec les parents se pose réellement aujourd’hui à l’école primaire. Ce sont les enquêtes du ministère qui le disent. Il y a plus d’incidents avec l’entourage adulte de l’élève qu’avec l’élève lui-même. Donc oui, il y a quand même un souci réel. Une fois encore, nos collègues professeurs des écoles ne nous parlent finalement pas si souvent que ça des élèves. Ce sont des remises en cause de l’enseignement. À l’école primaire, les parents d’élèves sont extrêmement présents, ils sont à la grille le matin, ils y sont de nouveau le soir, ils sont parfois à l’intérieur de l’école, etc. Une fois encore, on ne met pas du tout tous les parents d’élèves dans le même sac. On sait d’ailleurs que des fédérations de parents d’élèves qui fonctionnent bien, c’est souvent des interlocuteurs qui peuvent nous aider à raccrocher certains parents qu’on a du mal nous-mêmes à contacter. Donc c’est important quand on arrive à avoir un travail collaboratif là-dessus. Maintenant, nous, on est l’Éducation nationale. Nous, en fait, on s’occupe des élèves. Moi, je suis enseignant, je fais cours aux élèves, je ne fais pas cours aux parents. Les parents, je n’ai aucune prise dessus. Je n’ai aucun pouvoir dessus. Et c’est tout à fait normal que moi, professeur, je n’ai pas de pouvoir sur des parents. Mais du coup, quand il se passe des choses dans des familles, quand il y a un parent qui pète complètement un câble – ça avait été le cas avec Samuel Paty, il n’y avait pas 47 000 parents qui faisaient n’importe quoi : il en a suffit d’un – eh bien, effectivement, ça peut mettre les gens en très grave danger. C’est pour ça que cette situation était très inquiétante.
Franceinfo – Martin Baumer
Ça continuerait même si on excluait totalement les parents de l’école.
SNALC – Jean-Rémi Girard
Je suis bien d’accord avec vous. Ce n’est pas le problème. En fait, à l’Éducation nationale, on arrive en bout de chaîne du problème. C’est-à-dire que des élèves accusent leur enseignante d’être raciste par rapport à des valeurs religieuses extrêmes. On ne va pas se le cacher. Parce que le tableau, moi, je n’aurais très bien pu le montrer en cours: il est dans les programmes, il n’y a aucun souci avec… tout le monde peut le voir. Mais effectivement, là, on arrive vraiment en bout de chaîne. C’est-à-dire qu’à un moment, l’école se retrouve avec tous les problèmes de la société qui se regroupent dedans. Et effectivement, les collègues du collège d’Issou disent depuis le début de l’année que c’est très compliqué. On a besoin de renfort humain, on n’en a pas assez. Notre vie scolaire n’est pas suffisamment armée. Enfin, même le chef d’établissement a écrit à sa propre hiérarchie ! ce n’est pas tous les jours qu’un chef d’établissement dit, là, il y a beaucoup de faits, il y a beaucoup de problèmes. Le rectorat de Versailles n’a rien fichu avant que ce soit médiatisé. Il a fallu que ce soit médiatisé pour que d’un seul coup, le rectorat de Versailles se réveille. Gabriel Attal est allé plus vite que le rectorat de Versailles de ce point de vue-là.