Trop de profs absents sont non remplacés. Des parents d’élèves viennent de lancer une action collective contre l’Éducation nationale : une plainte pour manque au droit de l’instruction de la part de l’État.
Jean-Rémi Girard, président du SNALC, syndicat de l’école au supérieur, répond aux questions de Marianne Théoleyre dans le fil info du vendredi 1er juillet 2022 sur franceinfo TV.
A partir de 47’27” :
Est-ce que vous trouvez ce recours légitime ?
Oui, au SNALC, on trouve ça tout à fait légitime dans le sens où ce n’est pas « normal » : l’école est un service public. Nous, au-delà, on pense que l’école est une institution : elle doit être respectée, mais elle doit aussi de son côté être irréprochable. Il y a des calendriers scolaires, des horaires nationaux. Les élèves ont droit à l’instruction. Donc si à un moment le système ne leur permet pas de la recevoir, parce qu’il est en crise et qu’il a du mal à recruter des enseignants – on le voit très clairement cette année – eh bien on comprend très bien que des parents puissent en arriver là. On le déplore parce que c’est toujours très compliqué d’en arriver au judiciaire. Mais généralement, quand les gens en arrivent au judiciaire, c’est que toutes les autres solutions ont échoué.
Le ministre Pap Ndiaye a fait cette promesse en tout début de semaine : un prof devant chaque classe à la rentrée. Comment on fait, Jean-Rémi Girard ?
Un, je ne suis pas sûr qu’on y arrive, « devant chaque classe ». Deux, ce qui se passe, ce sont – vous l’avez vu – des recours à des recrutements massifs de contractuels, c’est-à-dire de professeurs qui n’ont pas le concours. On a vu ça à Versailles notamment avec les job dating…
…pour un CDD d’un an ?
Oui, tout à fait, des job dating, comme dans les entreprises mais avec des conditions d’entrée beaucoup moins sympathiques que dans beaucoup d’entreprises.
On sait que certains de ces contractuels « tiennent le coup », parce qu’il s’agit aussi de « tenir le coup » dans l’éducation nationale, le métier n’est pas simple… mais on sait qu’un grand nombre ne finiront pas l’année, ce qui signifie que les élèves qui ont un professeur devant eux en septembre ne l’auront plus en novembre.
C’est qu’ils jettent l’éponge parce que c’est trop dur ?
Bien sûr, ils jettent l’éponge parce que c’est trop difficile, évidemment.
On parle des conditions de travail ?
Conditions de travail + salaires : c’est le mélange des deux. Parce que les contractuels sont encore moins bien payés que les titulaires, qui ne sont déjà pas très bien payés.
Alors justement, on rappelle cette proposition de votre ministre de l’éducation nationale, qui veut que les débutants – qui gagnent maintenant un peu + que le SMIC – gagnent 2000 euros net en début de carrière.
Ce qui se passe aujourd’hui, c’est que les stagiaires débutants sont à 1,2 SMIC, donc très loin des 2000 €. Ensuite, on arrive à environ 1800 € net, mais la carrière, elle stagne. C’est-à-dire qu’un professeur de 40 ans gagne 2000€.
Est-ce qu’il y aura une revalorisation des autres salaires ?
C’est le problème : on est « décroché » sur les débuts de carrière par rapport aux autres pays européens, mais on est encore plus décroché sur les milieux de carrière. Il y a beaucoup plus de profs qui sont dans ces milieux de carrière qu’en tout début de carrière. Donc nous, on attend de voir à la rentrée de que le ministre va mettre sur la table en termes d’enveloppe
Peut-être avant ?
Ce sera à la rentrée, on l’a vu. Après la rentrée. On a quand même des doutes sur le fait d’arriver à une revalorisation de la carrière, c’est-à-dire en fait de tous les enseignants, pas juste de ceux qui sont en tout début de carrière. Parce que c’est bien gentil de dire « Vous allez être bien payés les trois premières années de votre carrière » : une carrière, c’est 42 ans !
Le nouveau ministre envisage plusieurs choses – on l’a déjà entendu par Jean-Michel Blanquer – notamment l’augmentation de salaires pour ceux qui acceptent de nouvelles tâches : faire peut-être du soutien scolaire… on est payé plus ?
Alors ça, on l’a connu, le fameux « travailler plus pour gagner plus ». On a toutes les études nécessaires au ministère de l’éducation nationale, il y a un excellent département statistique – qui montre à quel point le système ne marche pas, d’ailleurs – qui indique que les enseignants travaillent déjà beaucoup, et que le temps de travail effectif est en augmentation. Les enseignants ne veulent pas « travailler plus » : ils travaillent déjà énormément ! Ils veulent qu’on les revalorise, qu’on fasse un rattrapage salarial. Ce n’est pas pour aller en plus faire des formations pendant les vacances ou des remplacements de courte durée, qui sont quasi impossibles à organiser.
En attendant une éventuelle revalorisation à court terme, comment on fait pour remplacer ces profs ? Est-ce que, comme le dit Pap Ndiaye, on peut imaginer que s’il y a un prof d’histoire-géo qui est absent, c’est le prof de français qui va prendre ses heures et qui va faire du français ? Et quand le prof d’histoire-géo va revenir, il prendra la heures de français pour faire de l’histoire-géo ?
Ça, c’est que qui s’appelle les remplacements « Gilles-de-Robien » ! ça remonte… C’est cette idée qu’on va chercher les capacités de remplacement à l’intérieur de l’établissement. Il faut déjà trouver le professeur qui a des cours disponibles sur les créneaux, qu’il ait envie aussi… sur des classes que généralement il ne va pas connaître. J’en ai déjà fait, ce n’est pas très efficace. C’est très difficile à organiser. On fait déjà de plus en plus d’heures supplémentaires qui nous sont imposées. On a quand même supprimé près de 8000 postes de professeurs de collèges et lycées sur le précédent quinquennat alors que le nombre d’élèves a augmenté. Les enseignants sont à bout. Si vous leur dites en plus d’aller remplacer leurs collègues, on risque plutôt d’augmenter les arrêts maladie et d’avoir encore plus d’absences, très clairement.
Et on n’a pas beaucoup de candidats, finalement, pour être prof : tous les postes ne sont pas pourvus pour l’année prochaine ?
Tous les postes ne seront pas pour l’an prochain ; les chiffres sont une catastrophe et dans le premier degré, et dans le second degré. Chez les professeurs des écoles, comme on l’a vu dans votre reportage, il n’y a même pas la moitié des postes qui sont pourvus. On est obligé d’organiser un 2e concours pour essayer de recruter ceux qui ont été refusés dans les autres académies.
Ça veut dire qu’il y aura des classes plus grosses et des classes double niveau ?
C’est peut-être des classes plus grosses, peut-être des recours plus massifs encore à des contractuels, si on les trouve. Parce que tout le monde n’a pas envie d’être contractuel dans l’Éducation nationale. C’est pour ça qu’on arrive à ce type d’actions qui d’ailleurs ne concernent pas que les remplacements. On a déjà eu ce type d’actions sur l’accompagnement des élèves en situation de handicap : les parents sont allés jusqu’au tribunal.