À la veille d’un mouvement de grève dans l’enseignement professionnel, Jean-Rémi Girard explique les raisons du mécontentement sur France TV.
Jean-Rémi Girard, président du SNALC, répond aux questions sur France TV le17 novembre 2022
Journaliste
Et pour nous expliquer encore plus précisément les raisons de la colère, nous sommes avec Jean-Rémi Girard, Bonjour, vous êtes président du SNALC, syndicat national des personnels de l’Éducation nationale. J’aimerais vous poser une question, qu’en pensent les lycéens eux-mêmes de cette réforme ? Est-ce qu’ils seront dans les cortèges cet après-midi ?
Jean-Rémi Girard
Alors, il y aura possiblement des lycéens dans les cortèges. Ensuite, on sait que les lycées professionnels sont des endroits avec un regroupement énorme d’élèves issus de milieux défavorisés qui peuvent être en grande fragilité sociale – c’est un problème d’ailleurs – qui ont parfois moins de capacités entre guillemets de mobilisation.
Néanmoins, ce que beaucoup de lycéens voient, d’après nos collègues qui nous remontent l’information au SNALC, c’est qu’ils sont très inquiets car beaucoup de périodes de formation en milieu professionnel ne leur permettent pas d’acquérir toutes les compétences professionnelles. Certaines entreprises ne jouent pas toujours le jeu, d’autres entreprises jouent parfois mieux le jeu mais ne peuvent pas faire faire tant de choses que ça à nos élèves parce que mineurs.
Et depuis qu’il n’y a presque plus de redoublements, que le bac professionnel est en 3 ans et non plus en 4 ans, c’est dans les lycées professionnels que s’acquiert beaucoup, voire la majorité, des gestes professionnels dont ils vont avoir besoin par la suite.
Journaliste
Je vous demande cela parce que dans la réforme proposée par Emmanuel Macron, il y avait aussi un geste envers les lycéens et une rémunération dans ces moments de stage de 200€ pour les moins de 18 ans et jusqu’à 500€ pour les moins de 25 ans. Donc cela peut aussi être pour eux une incitation cette réforme, quelque chose de positif et y compris même peut-être pour entrer dans l’entreprise avec un meilleur salaire qui sait ?
Jean-Rémi Girard
Alors la question de ce qui s’appelle la gratification, effectivement est dans cette idée de rapprocher un petit peu l’enseignement professionnel sous statut scolaire des lycées professionnels avec des élèves de l’apprentissage, c’est à dire d’un système où effectivement on est dans une forme d’alternance plus importante et où les apprentis sont rémunérés, et donc parfois certains lycéens professionnels disent pourquoi pas nous ?
Au SNALC, on peut tout à fait l’entendre, mais il n’y a pas besoin d’augmenter de 50% les périodes de formation en milieu professionnel pour faire bénéficier au lycéens d’une gratification. On pourrait très bien le faire aujourd’hui dans le système actuel.
Journaliste
Est-ce que vous craignez d’avoir aussi des pertes de postes, des fermetures d’établissements avec cette réforme ?
Jean-Rémi Girard
Bien sûr puisque l’annonce de départ, et cela sans concertation, ni consultation, ni quoi que ce soit, c’est toujours très joli de faire des groupes de travail maintenant une fois les principales annonces faites. Cette augmentation de 50% des périodes de formation en milieu professionnel, ce qu’on va appeler des stages pour le commun des mortels, à un moment. Dans le même temps, on nous dit qu’on ne touchera pas aux horaires des enseignements généraux. Il ne vaut mieux pas, puisque la précédente réforme qui a eu lieu sous le quinquennat précédent – on est en train de réformer la réforme du quinquennat précédent – a déjà tellement diminué les enseignements généraux que si on les diminue encore, il n’y en aura plus. Donc à un moment, c’est une équation compliquée, on ne va pas pouvoir augmenter les périodes de stage, ne pas toucher aux enseignements généraux et ne pas diminuer les enseignements professionnels. Donc oui, cela aura des conséquences, évidemment, en termes de poste, mais aussi en termes de qualité de la formation, si on fait moins d’enseignements.
Journaliste
Donc de qualité des gestes professionnels, ce que vous disiez tout à l’heure.
Jean-Rémi Girard
Bien sûr, je donne un exemple très simple qui est facilement compréhensible. Imaginez des élèves qui sont dans une formation pour devenir coiffeur. Vous imaginez bien que dans le salon de coiffure, la majorité de leur temps généralement ne va pas être sur des coupes de cheveux. Elle va probablement être sur : balayer des cheveux, mettre des shampoings dans des présentoirs, faire des shampoings éventuellement. Je ne sais pas pour vous, mais moi vu l’état de ma chevelure, si on va chez le coiffeur et qu’on vous dit “est-ce que vous voulez que le stagiaire vous coupe les cheveux ?” on peut avoir un petit moment de doute en tous les cas. Donc c’est aussi ça, c’est à dire que même avec des entreprises bien intentionnées et il y en a beaucoup qui le sont, on n’est pas en train de critiquer l’entreprise, pour la voie professionnelle, se mettre les entreprises à dos ce n’est pas très intelligent, même pour des entreprises bien intentionnées, les périodes de stage ne permettent pas forcément de faire faire à nos élèves tout ce qui leur permet effectivement de pouvoir s’insérer et encore moins ce qui leur permet de pouvoir poursuivre des études, ce qui est aujourd’hui de plus en plus le cas des bacheliers professionnels. Ils vont de plus en plus en BTS.
Journaliste
Vous craignez effectivement des lycéens mal formés et mal compétents sur leur poste. Vous redoutez des fermetures ou des baisses d’enseignement professionnel. Ce que vous pensez c’est aussi une loi d’opportunité en raison des pénuries de main-d’œuvre dans certains secteurs.
Jean-Rémi Girard
Oui, au SNALC, on pense qu’il y a un aspect opportuniste, j’allais dire dans cette idée effectivement de ne vouloir d’un seul coup plus de main d’oeuvre. Alors que pendant des années on nous a dit : « il faut que les lycéens poursuivent leurs études », d’un seul coup on nous dit “il faut qu’ils s’insèrent ! » On devient un peu schizophrène. Effectivement, il y a effectivement une sorte d'”adéquationnisme” entre l’offre et la demande, et il faut voir là-dedans le rôle des régions. On parle beaucoup de l’État, mais l’État, dans les lycées professionnels a une influence relativement limitée, l’influence la plus importante aujourd’hui, ce sont les régions et les entreprises, mais vraiment les régions.
Journaliste
Régions qui ont aussi des pénuries de main d’oeuvre.
Jean-Rémi Girard
Bien sûr, et qui cherchent à faire vivre, j’allais dire les entreprises, le tissu local. Mais à un moment, nous, on n’est pas en train de former de la main-d’œuvre locale. On est en train de former des élèves qui, on le sait d’ailleurs, pour un grand nombre d’entre eux dans 5 ans, ne seront pas forcément dans le secteur dans lequel ils ont eu leur bac et donc ils ont besoin d’avoir des capacités pour rebondir, reprendre des études, s’adapter à d’autres formations ce genre de choses là et les compétences, c’est le lycée professionnel qui les leur apporte, ce sont les disciplines générales, mais aussi sans aucun doute ce qu’ils font dans les disciplines professionnelles au lycée professionnel.
Journaliste
Vous dites que la ministre a fait quelques petites avancées. Quelles sont-elles et pourquoi avez-vous boycotté les groupes de travail qu’elle a lancés ?
Jean-Rémi Girard
Alors au SNALC, on n’a pas boycotté les groupes de travail, on a une position, j’allais dire peut être originale mais cela nous paraît important, non pas forcément de négocier, parce que on comme on y est, on peut le dire, on ne négocie pas pour l’instant dans ces groupes de travail, mais nous, on veut avoir le maximum d’informations et on veut surtout savoir où en sont les régions et les représentants des entreprises dans cette histoire.
Journaliste
Y-a-il eu un geste de fait pour conclure là-dessus ?
Jean-Rémi Girard
Il y a eu y des propos qui ont été tenus qui étaient peut être j’allais dire moins catégoriques que par le passé. Pour l’instant il n’y a pas eu de geste. Nous, effectivement on ne se fie pas au discours, on a quand même l’habitude au SNALC en tant que syndicat, que les discours n’engagent pas à grand chose. On se fie aux actes, à un moment, on nous met sur la table des choses précises qui vont dans notre sens, on pourra le dire, oui, il y a des choses qui vont dans notre sens, ce n’est pas le cas aujourd’hui.
Journaliste
D’où cette nouvelle journée de mobilisation réelle du 18 octobre. Merci beaucoup. Jean-Rémi Girard d’être venu nous parler de cette colère des lycées professionnels.
Jean-Rémi Girard
Merci à vous.