France Bleu – Wendy Bouchard
Et dans ma France jusqu’à 13h, il est 12h38 et on fait un point de situation sur notre école sur le niveau compliqué des recrutements d’un des plus beaux métiers du monde pourtant, celui d’enseignant.Avec cette inquiétude exprimée par la voix de la ministre elle-même il y a quelques jours, Nicole Belloubet, la prochaine rentrée scolaire s’annonce complexe avec des concours qui sont loin d’avoir fait le plein de candidats.
“La ministre de l’Éducation nationale le reconnaît, la situation devient difficile dans plusieurs académies, en particulier Créteil, Versailles et la Guyane. Au niveau national, le choc d’attractivité promis par le gouvernement n’a pas eu lieu. Comparé à 2019, les concours de professeurs des écoles attirent 24% de candidats en moins. C’est même 38% de moins dans le secondaire pour le CAPES. Parmi les matières qui manquent le plus de candidats, il y a les mathématiques qui enregistrent certes un léger rebond par rapport à l’an dernier, +88 candidats au niveau national, mais -1400 par rapport à avant la crise sanitaire. Fort recul aussi en lettres modernes, en allemand ou encore en physique-chimie.
Pour relancer l’attractivité du métier d’enseignant, le gouvernement mise notamment sur sa réforme de la formation initiale, rémunérée 900 euros par mois la première année et 1800 la deuxième, du bricolage, rétorquent les syndicats, qui demande une réflexion plus large sur les salaires tout au long des carrières et sur les conditions de travail en classe.”
Vous allez nous dire s’il s’agit aussi pour vous de bricolage.
Bonjour Jean-Rémi Gérard, vous qui êtes professeur de français et président du syndicat le Snalc, difficulté de recrutement dans votre académie ?
Vous êtes en plein dedans également Jean-Rémi Gérard pour la rentrée prochaine ?
SNALC – Jean-Rémi Girard
Oui, moi je suis dans l’académie de Versailles et les concours qui sont académiques, c’est-à-dire ceux du premier degré dans l’académie de Versailles, sont, j’allais presque dire aujourd’hui, structurellement déficitaires. C’est le cas à Versailles, c’est le cas à Créteil.
France Bleu – Wendy Bouchard
Sur les matières évoquées ?
SNALC – Jean-Rémi Girard
Et ça c’est national pour le coup, sur le second degré c’est national, mais effectivement on sait que beaucoup vont commencer après leur année de stage dans les académies de Versailles ou de Créteil, qui sont les académies souvent les moins attractives et celles qui en plus ont le plus besoin de professeurs.
Donc il y a aussi en termes de manque d’attractivité, c’est une des raisons, le salaire c’est la raison principale, mais le fait effectivement que ce n’est pas forcément des conditions de début qui sont toujours très simples.
France Bleu – Wendy Bouchard
Une situation qui est compliquée à la fois dans le primaire, dans le secondaire, pourquoi ?
On pourrait penser que la crise de vocation n’atteint pas ce niveau par exemple, ni la maternelle ni le primaire, on pourrait l’imaginer en tout cas.
SNALC – Jean-Rémi Girard
Ça c’est nouveau en fait, ça fait quelques années que c’est le cas, parce que la crise dans le second degré, elle est installée depuis plus longtemps. Les mathématiques, les lettres, l’allemand, mais effectivement maintenant la physique, parfois l’anglais, la musique aussi souvent. Beaucoup de disciplines professionnelles également sont impactées chaque année maintenant.
Mais depuis quelques années, cette crise a atteint le premier degré, les concours du premier degré. Et pas d’ailleurs qu’à Versailles, Créteil et la Guyane, puisque dans les autres académies on remplit encore les postes, qui sont d’ailleurs souvent moins nombreux. Mais on voit que le nombre de candidats a très fortement baissé.
Donc on a de moins en moins de gens quand même qui se présentent, que ce soit dans le premier comme dans le second degré.
France Bleu – Wendy Bouchard
Alors ça c’est structurel et très inquiétant. La ministre propose de modifier la formation initiale des professeurs. À partir du mois de mai, il sera possible de postuler à Bac+3, alors qu’il faut aujourd’hui 5 ans d’études supérieures pour prétendre à ces postes d’enseignant. Revoir aussi le niveau de rémunération dès la première année. Est-ce que ce sont des pistes qui vous paraissent, je ne vais pas dire suffisantes, mais déjà importantes pour éroder cette crise de vocation, Jean-Rémi Girard ?
SNALC – Jean-Rémi Girard
Passer le concours plus tôt, nous on a toujours été d’accord au SNALC, on était contre le concours à la fin du Master 2. Néanmoins, il y aura toujours un Master. Donc il faudra toujours pour être titularisé un Master 2. Donc ça ne va pas non plus changer la face du monde. Je crois que ça a très bien été dit dans votre petit reportage.
Là, le principe, c’est quand même, vous passez votre concours en fin de licence 3 et vous commencez, alors que vous avez le concours, la première année, 900 euros par mois. Enfin, j’aimerais juste qu’on se rende compte.
On vient de passer un concours catégorie A de la fonction publique. Alors certes, on ne va pas enseigner devant des classes, on va être en pratique accompagné. On ne sait d’ailleurs pas très bien dans quoi on va être, puisque le ministère n’est pas capable de nous l’expliquer pour le moment.
Mais vous venez de passer un concours et vous êtes payé 900 euros. Ça va attirer qui ? Des gens qui se disent “génial, 900 euros par mois”.
France Bleu – Wendy Bouchard
Pardon, c’était votre cas lorsque vous avez passé le concours aussi ?
SNALC – Jean-Rémi Girard
Ah non, moi quand j’ai passé le concours, je n’étais pas payé 900 euros par mois. J’ai commencé, j’avais un stage avec un tiers-temps devant élève et j’étais payé au-dessus du SMIC.
France Bleu – Wendy Bouchard
Donc ça c’est nouveau.
SNALC – Jean-Rémi Girard
Donc là, 900 euros par mois, c’est une indemnité. C’est une sorte de petite indemnité qu’on vous verse pour votre formation, la première année de votre formation. Mais il y a beaucoup de gens, ils passent le concours, ils veulent juste commencer à enseigner et être payés. Et avoir une formation sur deux ans réelle, avec un peu de temps d’enseignement, mais avec une rémunération qui soit tout de suite celle qu’elle doit être au début de carrière, celle qu’elle est en tout cas, c’est-à-dire 1800 euros.
Ce qui déjà n’est pas très cher payé pour un début de carrière d’enseignant.
Je rappelle, c’est quand même un concours de catégorie A de la fonction publique et c’est un niveau master. Peu importe qu’on passe le concours en L3, en M1, en M2, à l’arrivée, de toute façon, tout le monde aura un master.
( … ) Élus et parents de ce village de 400 habitants sont très remontés contre cette fermeture de classe. Ils craignent que si ça passe, ce sera à terme l’école qui sera fermée.
France Bleu – Wendy Bouchard
Jean-Rémi Girard, ces situations, elles sont amenées à se reproduire ?
SNALC – Jean-Rémi Girard
Aujourd’hui, on est plus à cette tendance à faire la fermeture. Elles sont amenées à s’amplifier puisqu’il y a une baisse démographique qui fait qu’il y a moins d’élèves, particulièrement à l’école primaire.
Et effectivement, dans le même temps, on a bien vu, là on est en train de chercher 700 millions dans le budget de l’Éducation nationale. Donc c’est très clair que tous les voyants sont au rouge.
La problématique, on l’entend, pourquoi 27 élèves ?
France Bleu – Wendy Bouchard
C’est le problème de Barème, toujours, qui ne se tient pas compte du territoire.
SNALC – Jean-Rémi Girard
C’est-à-dire qu’on a les classes qui sont parmi les plus chargées d’Europe et on part du principe que c’est normal.
On devrait au contraire profiter de la baisse démographique, tout simplement pour avoir des classes moins chargées, pour maintenir nos structures et avoir de meilleures conditions d’enseignement.
Au lieu de ça, on ferme des classes, on maintient des classes à 27, 28, 29, 30 en primaire, ce qui sont quand même des conditions d’enseignement absolument catastrophiques.
Et on se retrouve dans quelque chose qui va s’amplifier ces années, parce que la baisse démographique, elle est continue. C’est-à-dire qu’elle va continuer.
France Bleu – Wendy Bouchard
Jean-Rémi Gérard est avec nous, enseignant, professeur de français dans cette académie, vous le disiez, de Versailles, touchée par ses difficultés de recrutement, président du SNALC. Mais heureusement, certains territoires combattent, j’allais dire, cette réalité et ouvrent même des classes, ouvrent même des écoles.
France Bleu – Wendy Bouchard
Oui, c’est ça, mais je reviens sur vos propos et votre formule Jean-Rémi Girard, profitons de la baisse de la démographie, de la natalité pour accueillir différemment nos élèves avec des classes moins surchargées.
Vous avez un autre sujet d’inquiétude réelle, en dehors du recrutement, de la manière de créer une école plus égalitaire et de meilleures conditions de travail, c’est la fameuse réforme des collèges et la mise en place de groupes de niveaux.
Ça, ça vous inquiète beaucoup, ces groupes de niveaux qui seraient donc à mettre en place dès la rentrée prochaine ?
SNALC – Jean-Rémi Girard
Oui, alors des groupes de niveaux qui sont d’ailleurs plus de niveaux, on ne sait même plus de quoi ils sont.
France Bleu – Wendy Bouchard
Nicolas Belloubet a un peu reculé par rapport aux propositions de Gabriel Attal.
SNALC – Jean-Rémi Girard
Voilà, c’est des groupes de besoins, ce n’est pas le niveau, mais ceux qui ont un moins bon niveau sont quand même moins nombreux.
Enfin voilà, c’est devenu incompréhensible puisque entre Gabriel Attal et Nicolas Belloubet, je pense qu’on a même quasiment deux visions parfois contradictoires de ce qui se passe.
Néanmoins, dans les collèges, c’est là, début septembre, qu’en 6e et en 5e, on va devoir enseigner par groupe en français et en mathématiques sur toutes les heures.
Comment on va faire ? On ne sait pas. Est-ce qu’on aura les professeurs ? On ne sait pas.
Visiblement, d’après ce que nous dit le ministère, est-ce que commencent à essaimer les inspecteurs ? Voilà, il faut s’amuser à changer de groupe trois fois, quatre fois dans l’année. C’est très sympathique, on ne connaîtra pas nos élèves. On ne pourra même plus être professeur principal dans de bonnes conditions quand on est professeur de français ou de mathématiques puisqu’on ne suivra plus la classe non plus. On connaît déjà ça au lycée.
Néanmoins, on est censé différencier suivant les besoins des élèves, mais on est censé tous les amener au même endroit, avec le même programme, pour tout le monde.
Certains sont en train de déchiffrer pendant que d’autres sont en train d’étudier l’Odyssée. C’est ce que nous dit la note de service. Mais à l’arrivée, tout le monde arrive au même niveau ou à la même résolution du besoin.
Je ne sais pas. Ça n’a pas de sens.
L’idée de départ n’était pas forcément stupide, mais comme souvent l’Éducation nationale a des idées qui traînent et puis ensuite met en place des trucs complètement kafkaïens. Et là, ça va être violent. Moi, je suis professeur de français. J’ai fait neuf ans de collège. On m’aurait demandé d’enseigner dans ces conditions-là, des progressions communes, s’échanger les élèves pendant l’année, etc. Je ne sais pas si je serais resté.
France Bleu – Wendy Bouchard
Ah oui, à ce point.
SNALC – Jean-Rémi Girard
Ah non, c’est terrifiant en termes de conditions de travail.
France Bleu – Wendy Bouchard
(…) Encore une fausse bonne idée, c’est ce que vous dites. Et trop de réformes qui sont vécues comme une juxtaposition de réformes, ça fait qu’on ne sait plus où va le bateau Éducation nationale.
SNALC – Jean-Rémi Girard
Oui, c’est ça. Enfin, il coule en fait. Oui, il va vers le fond. Mais c’est terrifiant parce qu’il faut que chacun fasse sa réforme. Le temps politique a pris le pas sur le temps de l’école. Et à un moment, nous au SNALC, on réagit aussi.
C’est-à-dire qu’on a sorti un fascicule pour que les groupes et la classe, qui expliquent qu’en fait le texte n’a tellement plus de sens que finalement, ce qu’on peut faire tout simplement, c’est de dire que les groupes, en fait, ce sont les classes, qu’on ne change pas les élèves, qu’on les garde en classe entière.
Et que si on a eu des heures supplémentaires, ce qui n’est pas le cas de tous les collèges, eh bien là, on peut faire des demi-groupes.
Mais en fait, il faut faire une…Enfin, il faut résister là.
Il faut se dire, à un moment, ils nous disent c’est l’autonomie de l’établissement, c’est à vous de déterminer les groupes. Eh bien, on leur dit. Eh bien, très bien.
Que le groupe 1, c’est la classe de 6e 1, que le groupe 2, c’est la classe de 6e 2, que le groupe 3, c’est la classe de 6e 3. Les professeurs de français et de mathématiques prennent les élèves de la classe pendant toute l’année, comme ils le faisaient l’an dernier, comme ils le faisaient l’année d’avant.
Et si on a des moyens en plus, eh bien, on peut faire des dédoublements, des heures de soutien pour les élèves les plus en difficulté.
Ce sera beaucoup plus efficace que l’usine à gaz que le ministère essaye de mettre en place.
France Bleu – Wendy Bouchard
En vérité, c’est ce qui risque de se passer, parce qu’on n’avait pas de toute façon d’assurance, de moyens supplémentaires.
Vous n’aurez pas d’assistant pour les groupes de niveau.
SNALC – Jean-Rémi Girard
Si il y a un groupe en plus, mais qu’il n’y a pas le professeur de français ou de mathématiques supplémentaires, eh bien, à un moment, le groupe, il va rester sans personne.
Donc, du coup, on va faire quoi ? On va le répartir dans les autres groupes ? On va faire des groupes à 40 ? Je ne sais pas.
Mais de ce point de vue-là, nous, on conseille de rester, voilà, mesuré, intelligent, de faire preuve de raison et de dire, on garde les classes.
Ce n’est pas un système idéal, mais par rapport à ce que le ministère essaye de mettre en place sans les moyens pour le mettre en place, ce sera quand même beaucoup plus simple.
France Bleu – Wendy Bouchard
Et puis, autre illustration dont on avance et on recule, sur le numérique à l’école.
Un rapport d’experts a remis, un rapport assez préoccupant, un collège d’experts, un rapport à Emmanuel Macron qui recommande de limiter l’exposition des jeunes aux écrans. On en a parlé ici, donc le débat est relancé. Sur l’utilité de ces outils en classe et sur leur encadrement par vos soins, là, de nouveau.
Pour le coup, Nicole Belloubet a l’air assez engagée sur la question.
Ça veut dire quoi ? Il n’y aura plus d’écran, il n’y aura plus de tablettes ?
On peut s’acheminer jusque là alors qu’on avait priorisé le contraire, Jean-Rémi Gérard ?
SNALC – Jean-Rémi Girard
Alors là, moi, je ne comprends plus rien. C’est-à-dire que d’un côté, on vient de nous vendre dans le choc des savoirs, dans ces fameuses mesures qu’on allait utiliser l’intelligence artificielle pour aider les élèves en français et en mathématiques. Ça fait partie des mesures du choc des savoirs qu’on nous a présentées au SNALC et aux autres syndicats.
Et de l’autre côté, on nous dit, ouh là là, non, non, le numérique, il faut arrêter, ce n’est pas bien. Sachant qu’en plus, c’est toujours très sympathique que l’État dise les manuels numériques, ce n’est peut-être pas la meilleure idée.
Ce n’est pas lui qui gère, ce sont les collectivités locales. Donc, il peut toujours dire ce qu’il veut. Moi, dans ma région, on est en train d’imposer le manuel numérique à tout le monde.
On m’a installé un écran dans ma salle, qui est d’ailleurs assez pratique, par ailleurs, parce que le numérique, ce n’est pas toujours catastrophique.
Mais nous, ce qu’on dit au SNALC, c’est que le numérique, ça doit rester au choix des enseignant. C’est nous, qui enseignons, c’est nous qui faisons la pédagogie. Si on pense qu’un manuel papier, c’est plus pratique en sixième qu’une tablette, il faut nous donner des manuels papiers et pas des tablettes.
France Bleu – Wendy Bouchard
Et on en reparlera avec vous, Jean-Rémi Gérard.
Beaucoup de sujets décidément autour de l’école, vous qui présidez le SNALC, professeur de français.