L’urgence d’un ressaisissement laïque à l’École est d’une évidence criante. Une récente note des services de l’État[1] révèle que les atteintes à la laïcité ont plus que doublé en 2022-2023 par rapport à l’année précédente. Sur les 4710 atteintes recensées, près de la moitié d’entre elles concernent le port de tenues manifestant une appartenance religieuse. Les abayas constituent la grande majorité des infractions au principe de laïcité.
D’abord, un rappel. La loi de 2004 est un dispositif juridique essentiel pour mettre l’École à l’abri des communautarismes et du risque de division qu’ils représentent.
La loi de 2004 ne vise aucune religion en particulier, mais toute manifestation d’appartenance religieuse dans l’espace scolaire. Elle vise un but général : celui de préserver l’École et sa sérénité en évitant les conflits qui ne manqueraient pas de surgir de manifestations de convictions contraires, mettant en jeu les religions, l’athéisme et l’agnosticisme. Un tel but est de l’intérêt de tous les élèves car il permet le bon accomplissement de l’instruction, à distance de toute captation partisane. Il ne relève nullement d’une démarche raciste car il n’effectue aucune discrimination entre les convictions spirituelles. Il proscrit explicitement autant les signes chrétiens ou israélites que le voile. Il ne s’agit donc pas de nier ou de combattre les particularismes spirituels, mais de faire en sorte qu’ils ne perturbent pas la communauté scolaire.
En amont de cette loi, les recommandations du ministère de l’Éducation nationale étaient de confier aux chefs d’établissement le soin de traiter au cas par cas les manifestations ostensibles d’appartenance religieuse. L’inconvénient de cette conception est apparu très vite. Ainsi, la variation du rapport de force local entre l’institution scolaire et les groupes de pression religieux hostiles à la mission émancipatrice de l’école laïque a entraîné des décisions très diverses voire contradictoires. Ici, la pression religieuse l’emportait. Là, c’était la préservation laïque de l’École qui s’affirmait. Avec une grande disparité des situations locales et finalement un affaiblissement de l’unité de la République, menacée par des revendications communautaristes. Il y avait donc péril en la demeure et la mise en place de la Commission Stasi a été conçue pour réaffirmer la laïcité de l’institution scolaire, et son rôle émancipateur.
Devant la prolifération des abayas, dont la nature religieuse n’est contestée par aucun sociologue sérieux, il faut en revenir à une application résolue de la Loi de 2004. Tout retour à une fragmentation des décisions et toute assignation géographique laisseraient à nouveau le champ libre à la pression communautariste locale. Il faut au contraire assumer à nouveau au niveau national le rôle proprement politique de l’École laïque, qui est d’assurer à l’enseignement les conditions qui font de lui un levier d’émancipation. Les établissements scolaires ne sont pas des entreprises confiées à des « managers », mais des outils majeurs de la République, au service de l’intérêt général qui est de fournir à la République des citoyens éclairés, maîtres de leur jugement, et capables de s’élever à l’universel par-delà toute tentative d’assujettissement communautariste. A cet égard, c’est le rôle du ministre d’affirmer haut et fort la laïcité et sa mission émancipatrice. Il faut en finir avec la logique du « pas de vague » et du désistement qui abandonnerait à nouveau aux chefs d’établissement la défense de l’exigence laïque.
Les déclarations du nouveau ministre de l’Éducation nationale sont marquées au sceau de la fermeté. Son engagement d’interdire le port de l’abaya vient lever l’ambiguïté antérieure, lourde de conséquences pour l’École publique. En effet, l’augmentation drastique et alarmante des signalements officiels ne doit pas faire oublier que la plupart des atteintes ne sont pas signalées : soit parce que le problème est réglé en interne, au sein de l’établissement, soit, plus généralement, parce que les personnels s’autocensurent de crainte de ne pas se voir soutenus par leur hiérarchie. La peur s’installant, la laïcité recule.
Voilà pourquoi la netteté des propos du ministre représente une élucidation salutaire que le SNALC demandait de longue date. L’enjeu est de taille. Le SNALC se réjouit donc de cette volonté d’affirmer une position claire qui permettrait enfin aux chefs d’établissement, mais également aux professeurs ainsi qu’aux autres personnels d’éducation (CPE, AED, etc) de communiquer et d’agir de manière univoque sur cette question. Si les actes accompagnent les mots, alors les personnels bénéficieront du soutien de l’Institution qui rendra enfin possible la transmission pleine et entière des principes républicains, condition sine qua non à la transmission du savoir.
[1] https://www.lefigaro.fr/actualite-france/abayas-qamis-les-atteintes-a-la-laicite-a-l-ecole-explosent-20230824