Dossier du mois de la revue du SNALC Quinzaine universitaire n°1508 du 19 décembre 2025.
Dossier rédigé par Xavier PÉRINET-MARQUET, membre du Bureau national du SNALC responsable de l’enseignement spécialisé. Avec la collaboration d’Ange MARTINEZ et de Christelle TRAPPLER, SNALC secteur premier degré.
Sommaire
L’ENSEIGNEMENT SPÉCIALISÉ EN PROFONDE MUTATION
Bien qu’il existe depuis très longtemps, l’enseignement spécialisé demeure mal connu. Dès l’instauration de l’école obligatoire, celle-ci a été confrontée à la nécessité de prendre en charge les élèves présentant des difficultés et des besoins particuliers.
C’est d’ailleurs en réaction à ce besoin impérieux qu’en 1905, le Ministère confia au psychologue Alfred Binet et au psychiatre Théodore Simon la mission de créer un test pour mesurer l’intelligence des enfants. Les résultats de ce test servaient alors à déterminer quels élèves ne relevaient pas de l’école “ordinaire”.
Même si la situation a fortement évolué, certains enfants sont restés longtemps sans prise en charge, dépendant uniquement de leur famille. Progressivement, des classes spécialisées ont vu le jour, implantées soit au sein de l’école ordinaire, soit au sein d’établissements spécialisés du secteur médico-social : IME, instituts de rééducation (devenus ITEP), instituts régionaux pour jeunes sourds, instituts pour enfants cérébrolésés, etc.
L’orientation vers l’enseignement spécialisé reposait donc initialement sur le constat de l’incapacité d’un enfant à suivre le cursus scolaire classique. Sa mission première était alors de prendre en charge ces élèves considérés comme différents. Une telle approche ne pouvait qu’aboutir à une image dépréciée de ces élèves et, par extension, de l’enseignement spécialisé lui-même, qui a longtemps servi de repoussoir. La situation a depuis beaucoup évolué : si cet enseignement a pu sembler être un système parallèle, peu valorisant et fonctionnant en vase clos, ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui.
Sous le double effet des progrès en matière de soins et de rééducation et de la transformation du système vers l’intégration puis l’inclusion, l’enseignement spécialisé est en profonde mutation. Alors qu’il constituait presque un système scolaire parallèle, il se rapproche désormais de l’enseignement ordinaire et les différences s’atténuent. Y a-t-il un risque qu’il s’y dissolve et y perde sa spécificité ? Le SNALC vous éclaire à la fois sur ce processus et sur les aspects pratiques de cet enseignement et de ses classes spécialisées.
L’ENSEIGNEMENT SPÉCIALISÉ FACE AUX DÉFIS DE L’INCLUSION
L’enseignement spécialisé a d’abord eu pour mission de prendre en charge des enfants dont on pensait qu’ils ne pouvaient pas être élèves. La principale difficulté consistait à scolariser des élèves souffrant de retard cognitif, c’est-à-dire d’un déficit des capacités cognitives et, par extension, d’un déficit des capacités d’apprentissage.
Le système scolaire ne savait alors pas comment les prendre en charge. Il faut dire aussi que la psychologie, discipline encore très jeune, n’offrait pas de solutions concrètes aux enseignants.
Un système scolaire parallèle
On réunissait donc dans des classes à part des élèves ayant différents handicaps. Il incombait à l’enseignant de se débrouiller pour les faire progresser, sans outils et sans soutien. Avant les années 70, on trouvait principalement des classes de perfectionnement dans le primaire, réunissant jusqu’à 15 élèves souffrant de différents handicaps.
L’enseignement spécialisé a d’abord pris en charge tous les élèves handicapés de manière très indifférenciée, sans outils, avec des parcours qui atteignaient très rarement le secondaire et relevaient surtout du secteur médico-social, puis du monde du travail adapté. L’évolution de la recherche, une meilleure prise en compte des besoins des élèves et des souhaits des familles, ont abouti dans les années 80 et 90 à la création de classes plus spécialisées, même si cet enseignement évoluait toujours en marge du système scolaire.
La loi de 2005, un tournant majeur
Avec la loi de 2005, on passe de la logique de l’intégration (a minima) à l’inclusion. C’est désormais à la société, et par conséquent à l’École, de s’adapter au handicap. Même si l’enseignement spécialisé ne prend pas en charge uniquement les enfants porteurs de handicap (puisqu’il prend aussi en charge les élèves souffrant de grandes difficultés scolaires au sein des SEGPA), il s’agit d’une évolution majeure.
On favorise alors l’ouverture d’ULIS, la réorientation de certains élèves d’IME vers les ULIS, l’ouverture de classes spécialisées pour les enfants autistes sur le modèle des ULIS (UEMA et UEEA) et la création de classes d’IME ou d’ITEP au sein d’écoles ou de collèges. Les textes réglementaires évoluent aussi vers une plus grande souplesse pour les réorientations. Les instructions officielles favorisent au maximum l’inclusion dans les classes « ordinaires ». L’enseignement spécialisé devient même un peu suspect : certains plaident pour sa disparition et une inclusion totale, le considérant responsable d’un véritable apartheid scolaire.
Cette mutation, dont les autorités se réjouissent – avec 563 400 élèves en situation de handicap scolarisés en milieu ordinaire à la rentrée 2024, soit trois fois plus qu’en 2004 (1) – cache une réalité moins positive. Beaucoup d’élèves qui ont une notification de la MDPH pour une scolarité dans le médico-social n’ont pas de place. Le milieu hospitalier est lui aussi totalement saturé.
Du cynisme institutionnel
Certains ont parfaitement compris qu’une scolarité dans le spécialisé coûte très cher. Dès lors, pourquoi ne pas faire des économies en poussant à scolariser tout le monde dans le milieu ordinaire, puis à comprimer les dépenses d’accompagnement en mutualisant ? C’est ainsi qu’au nom de l’inclusion, certains élèves sont beaucoup moins bien accompagnés, qualitativement et quantitativement, que précédemment. Les ARS elles-mêmes usent de l’argument de l’inclusion pour réduire les moyens du médico-social. Ce sera donc aux enseignants du milieu ordinaire de se débrouiller.
L’Institution, n’ayant pas de solutions efficaces à proposer, mais considérant que la pédagogie doit pallier tous les manques (ce que le SNALC a toujours vigoureusement contesté et dénoncé), somme les enseignants de trouver des solutions pour suppléer aux manques de soins, de rééducations et d’accompagnements, sous peine d’être jugés responsables des difficultés rencontrées lors de la scolarisation de ces élèves. Quant aux enseignants spécialisés, ils sont poussés à devenir des référents pour leurs collègues de l’ordinaire.
Un avenir incertain
Autrefois considéré comme un système parallèle, méconnu, dont personne ne se souciait vraiment, l’enseignement spécialisé évolue rapidement. D’un côté, cette mutation apporte plus de souplesse, la possibilité pour tout enseignant de se spécialiser, des inclusions bénéfiques pour certains élèves et une meilleure prise en compte de leurs besoins particuliers. De l’autre côté, elle se traduit par des économies réalisées de manière très cynique, une responsabilité accrue pour les enseignants (sans aide ni soutien) et le risque de dilution voire de disparition de l’enseignement spécialisé.
DEVENIR ENSEIGNANT SPÉCIALISÉ
Le SNALC vous présente la certification nécessaire pour devenir enseignant spécialisé.
Le CAPPEI : une certification commune
Le CAPPEI (Certificat d’aptitude pédagogique aux pratiques de l’école inclusive) est accessible aux enseignants du premier comme du second degré. La certification est requise pour pouvoir obtenir à titre définitif un poste spécialisé.
La formation (CAPPEI)
La formation se compose d’un tronc commun de 144 heures, comprenant six modules obligatoires (enjeux éthiques et sociétaux, cadre législatif, connaissance des partenaires, relations avec les familles, réponses pédagogiques, personne ressource).
Elle inclut également deux modules d’approfondissement de 52 heures chacun à choisir dans une liste thématique (grande difficulté mathématique, grande difficulté lecture-écriture, troubles psychiques, troubles du langage, troubles des fonctions cognitives, troubles auditifs, troubles visuels, troubles du spectre autistique, troubles moteurs).
À cela s’ajoute un module d’approfondissement de 52 heures à choisir en fonction du lieu d’exercice visé.
Enfin, la formation comprend 100 heures de modules de formation d’initiative nationale (MIN) à réaliser dans les cinq années suivant l’examen.
La certification
L’examen se compose de trois épreuves.
La première, d’une durée de 45 minutes, est la conduite d’une séance d’enseignement dans le cadre professionnel d’exercice. Elle est suivie d’un entretien d’une durée de 45 minutes.
La seconde épreuve est un entretien avec la commission à partir d’un dossier élaboré par le candidat portant sur sa pratique professionnelle. La présentation de ce dossier n’excède pas 15 minutes. Elle est suivie d’un entretien d’une durée de 45 minutes. Ce dossier – de 25 pages maximum – comprend une sélection de documents pour étayer la pratique professionnelle, ainsi qu’un texte rédigé par le candidat justifiant et commentant son choix documentaire.
La dernière épreuve consiste en la présentation d’une action conduite par le candidat (20 minutes) témoignant de son rôle de personne ressource en matière d’éducation inclusive. Cette présentation est suivie d’un échange avec la commission (10 minutes).
Certification par Validation des Acquis de l’Expérience
Il est également possible d’obtenir le CAPPEI par la VAE. Le jury est alors composé de trois membres, au lieu de quatre. Les candidats répondant aux conditions requises présentent un dossier qui justifie de leur expérience et de leur parcours. Ils soutiennent ensuite ce dossier devant le jury avant un entretien, pour une durée totale d’une heure.
Cette démarche vise à simplifier l’obtention de la certification pour des collègues en poste depuis de nombreuses années, mais qui seraient rebutés par la lourdeur de la formation et de l’examen traditionnel.
Modification de l’examen pour la VAE
Il est toujours composé de trois épreuves : une séance de classe, un dossier de pratique professionnelle, une action portant sur la pratique de l’école inclusive, mais il n’est plus nécessaire d’obtenir une note d’au moins 10/20 à chacune des trois épreuves pour être reçu. Une note moyenne de 10/20 sur l’ensemble des trois épreuves suffit à obtenir la certification.
Si le SNALC est favorable à l’obtention de la certification par la VAE, il dénonce un élargissement de la certification alors que les départs en modules d’initiative nationaux (MIN) ne sont pas toujours assurés.
Appauvrissement de la formation
Si l’on compare sur le long terme, entre le CAPSAIS en 1987 et le CAPPEI, le volume total de la formation a diminué (300 h + 100 h de MIN contre 700 h initiales). De plus, une partie de la formation devenue MIN n’est pas garantie. Il est donc désormais possible d’obtenir la certification sans avoir suivi toute la formation, ce qui dévalorise encore davantage cette certification.
Comme toujours dans notre institution, la formation est trop théorique et manque d’échanges avec des professionnels du soin et de la rééducation. Cet état de fait illustre le dogme selon lequel la pédagogie serait la solution à tous les problèmes, l’enseignant trouvant toutes les solutions par lui-même. C’est ce que le SNALC a toujours réfuté et dénoncé. En somme, les enseignants devront, effectivement comme toujours, d’abord compter sur eux-mêmes…
OÙ ENSEIGNER AVEC SON CAPPEI EN POCHE ?
Le CAPPEI (certificat d’aptitude professionnelle aux pratiques de l’éducation inclusive) ouvre de nombreux horizons aux professeurs. Cette certification permet d’enseigner auprès d’élèves à besoins éducatifs particuliers ou en situation de handicap dans des contextes variés, à la frontière entre école ordinaire et dispositifs spécialisés. La question est simple : où peut-on exercer lorsque l’on détient le CAPPEI ? Bien entendu, l’exercice dépend des parcours de formation choisis (« options » ou « valences »). Le SNALC fait le point.
Les ULIS école, collège et lycée
Les ULIS (unités localisées pour l’inclusion scolaire) constituent un champ d’exercice majeur. À l’école, l’enseignant spécialisé articule regroupements spécifiques et temps d’inclusion en classe ordinaire. Au collège, il accompagne les apprentissages et aide les enseignants de discipline à adapter leurs cours. Au lycée, il soutient les parcours de qualification et l’orientation professionnelle. Dans tous les cas, il assure une fonction de coordination et de médiation.
Les SEGPA
Les sections d’enseignement général et professionnel adapté, présentes dans les collèges, accueillent des élèves confrontés à des difficultés scolaires graves et persistantes. Le professeur spécialisé y enseigne les disciplines générales en effectif réduit et travaille en lien avec les ateliers professionnels, pour préparer les élèves à une formation qualifiante.
Les RASED
Les RASED (réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté) constituent l’un des secteurs accessibles avec le CAPPEI. Leur rôle est d’apporter des interventions ciblées, temporaires si possible, afin de prévenir le décrochage scolaire. Ces aides sont modulables : elles peuvent être centrées sur les apprentissages (anciennement maître E) ou spécialisées dans l’aide éducative (anciennement maître G), selon les besoins identifiés. Ces enseignants itinérants travaillent en lien étroit avec les équipes pédagogiques et peuvent intervenir en classe ou avec des groupes d’élèves restreints extraits de la classe (voire un seul élève).
Les EMASCO
Les équipes mobiles d’appui à la scolarisation soutiennent directement les écoles et établissements qui accueillent des élèves en situation de handicap, particulièrement lors des épisodes critiques. L’enseignant spécialisé y joue alors un rôle triple : conseil, appui et formation des équipes, tout en favorisant le dialogue avec les partenaires médico-sociaux.
Les établissements ou services médico-sociaux (ESMS)
Le CAPPEI permet aussi d’enseigner en instituts spécialisés : IME (médico-éducatifs), ITEP (thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques) ou IEM (éducation motrice). Le professeur fait partie d’une équipe pluridisciplinaire (éducateurs, soignants, etc.). Ensemble, ils construisent un parcours qui concilie scolarisation et autonomie. Les réunions de concertations y sont fréquentes.
Les UEEA et UEMA
Les UEEA (unités d’enseignement élémentaire autisme) et UEMA (unités d’enseignement maternelle autisme) accueillent de petits groupes d’élèves présentant des troubles du spectre de l’autisme. L’enseignement y est particulièrement adapté, voire individualisé, et construit en collaboration avec des professionnels médico-sociaux. L’objectif est de favoriser leur inclusion progressive en classe ordinaire.
Les hôpitaux et structures de soins
Certains enseignants spécialisés exercent aussi en milieu hospitalier. Leur mission est d’assurer la continuité des apprentissages, de maintenir le lien avec l’école d’origine et de prévenir les ruptures scolaires. Ils interviennent le plus souvent dans des classes intégrées ou en petits groupes, toujours en coordination étroite avec les équipes médicales. Là aussi, les réunions de concertation entre les divers secteurs sont fréquentes.
Le SNALC dénonce le fait que l’action du ministère de la santé réduisant les places dans le médico-social, conjuguée à celle de l’Éducation nationale, sommée d’accélérer sur le dossier de l’inclusion, aboutisse à la transformation de l’enseignement spécialisé. Les enseignants spécialisés sont poussés à devenir de simples « personnels ressources » avec peu ou pas de contact avec les élèves, perdant ainsi leur expertise et donc leur légitimité…
LES OBLIGATIONS RÉGLEMENTAIRES DANS LE SPÉCIALISÉ
Les obligations réglementaires de service (ORS) dans l’enseignement spécialisé ne sont pas toujours connues, y compris par la hiérarchie. Il existe des différences qui tiennent à la fois aux profils des élèves et au niveau d’enseignement (premier ou second degré).
On rencontre parfois des demandes ou des exigences fantaisistes dans certains établissements médico-sociaux. Ces situations sont dues soit à une méconnaissance des textes, soit à des arrangements locaux qui perdurent parfois depuis la création des IME en… 1974.
À noter :
– les enseignants en SEGPA ne sont pas soumis aux 108 heures annuelles du premier degré, mais aux missions liées au service d’enseignement, tout comme les professeurs du secondaire (incluant les rencontres parents-professeurs, les conseils de classes, etc.). (2)
– la très grande majorité des postes spécialisés concernent les professeurs des écoles.
INDEMNITÉS ET PRIMES EN ENSEIGNEMENT SPÉCIALISÉ
La nomenclature des primes pour l’enseignement spécialisé est très complexe. Le SNALC synthétise les informations pour plus de clarté. À noter : certaines structures (MDPH, établissements spécialisés selon les conventions) permettent de bénéficier de primes supplémentaires.





