Depuis quelques années les professeurs en classe préparatoire s’interrogent sur les mérites respectifs du corps des chaires supérieures et du grade de la classe exceptionnelle des agrégés. Or, le décret du 4 août 2023 a de nouveau bouleversé la donne. Le moment est donc venu de faire le point.
La chaire supérieure, créée par le décret du 30 mai 1968, est un corps auquel peuvent accéder, par liste d’aptitude uniquement, les professeurs agrégés en poste depuis au moins deux ans en classe préparatoire qui ont atteint au moins l’échelon 6 de la classe normale.
Une fois promus à la chaire supérieure, les enseignants précédemment agrégés ne peuvent plus être nommés qu’en classe préparatoire, en complétant éventuellement leur service en lycée général. Depuis le décret de 1968, ce statut a un peu évolué. Tout d’abord, le décret du 20 juillet 2015 a ouvert aux professeurs de chaire supérieure la possibilité d’exercer la fonction de formateur académique auprès d’enseignants du second degré, dès lors qu’ils sont titulaires du certificat d’aptitude à ces fonctions. Celles-ci donnent lieu à un allègement de service, mais ne sont pas exercées à plein temps : l’enseignant est toujours affecté en classe préparatoire, qui demeure donc le cœur de son métier. Ensuite, modification plus radicale pour les intéressés, le décret du 26 octobre 2021 leur a ouvert la possibilité d’être affectés par délégation dans une entreprise développant des activités dans le domaine éducatif pour exercer des activités liées à l’enseignement.
De 1968 à 2017
Le décret de 1968 précise que la carrière en chaire supérieure se déroule sur un seul grade (ce qui à l’époque est également le cas des professeurs agrégés), du premier au sixième échelon. La promotion à chaque échelon supérieur se fait au choix ou à l’ancienneté (pas de grand choix). Conformément aux règles de reclassement d’un corps de fonctionnaire à l’autre, alors comme aujourd’hui, la promotion à la chaire supérieure se fait à l’échelon dont l’indice est égal ou immédiatement supérieur à celui détenu précédemment par l’agrégé. Mais même la carrière la plus lente, à l’ancienneté, d’un professeur de chaire supérieure (deux ans entre chaque échelon) est plus rapide que la carrière la plus favorable, au grand choix, d’un agrégé (deux ans et demi). De plus, l’indice majoré de l’échelon 5 du corps de chaire supérieure est de 650, donc supérieur à l’indice de l’échelon 11 d’un agrégé, alors de 630. Mieux encore, selon le décret du 16 février 1957, qui concerne l’ensemble de la fonction publique, tout emploi supérieur, au-delà de l’indice 650, accède à la rémunération hors-échelle. Le décret de 1968 précise donc logiquement qu’au-delà du cinquième échelon, la carrière de la chaire supérieure se poursuit hors échelle (à ne pas confondre avec la hors-classe, qui n’a jamais existé pour la chaire supérieure). Le sixième échelon se décompose alors en trois chevrons de la catégorie A (les emplois de très hauts fonctionnaires montent jusqu’à la hors-échelles de catégorie G), que l’on désigne couramment aujourd’hui comme HEA1, HEA2 et HEA3, le passage d’un chevron à l’autre étant toujours d’un an.
La chaire supérieure est alors sans conteste possible une fabuleuse promotion pour les professeurs agrégés. Même les maîtres de conférence plafonnent à l’indice 630 et n’accèdent pas encore à la hors-échelle. Les inspecteurs qui ne sont pas inspecteurs généraux non plus. Les chefs d’établissement qui ne sont pas chefs d’établissement agrégés non plus. Certes, l’engagement dans ce corps signifie que l’on a l’intention d’enseigner en classe préparatoire et nulle part ailleurs jusqu’à la retraite, mais pour qui aime cet enseignement, il n’y a aucune hésitation possible.
En 1974 toutefois, et comme on pouvait sans doute s’y attendre, d’autres emplois accèdent eux aussi à la hors-échelle A. Le décret du 12 octobre 1974 remet à plat le traitement indiciaire de toute la fonction publique. La carrière des agrégés se déroule désormais sur deux grades : la classe normale et la hors classe. Au dernier échelon de la hors classe, les agrégés accèdent à leur tour à la hors-échelle, et aux trois chevrons HEA1, HEA2 et HEA3 (dont les indices sont les mêmes dans toute la fonction publique, quel que soit le corps). L’indice minimum et l’indice maximum de la chaire supérieure, qui comporte toujours un seul grade et six échelons, sont alors les mêmes que ceux de la hors classe des agrégés. Les agrégés peuvent donc espérer partir à la retraite avec le même indice final que les chaires supérieures. La chaire supérieure n’apparaît plus aussi fabuleuse, mais est-elle toujours une bonne affaire ? Incontestablement oui, pour trois raisons. La première, et de loin la plus importante, est que la progression d’un échelon à l’autre n’a pas été modifiée et est toujours beaucoup plus rapide. La deuxième est plus subtile : il n’y a pas deux grades, mais un seul. Ce qui signifie que dès lors que l’on est promu à la chaire supérieure, on est assuré d’aller jusqu’au bout de la carrière. Certes, des inspecteurs modérément satisfaits de votre travail peuvent faire passer à l’ancienneté et non au choix, mais pas stopper la carrière. À l’inverse, pour les agrégés, le passage du grade de la classe normale à la hors-classe n’est jamais automatique, et nécessite une décision administrative qui peut indéfiniment tarder à venir, rarement certes, mais la possibilité est là. La troisième raison enfin, vient du mode de calcul des heures supplémentaires, basé sur l’ORS, mieux rémunérées pour les chaires supérieures.
La promotion à la chaire supérieure reste alors un gros accélérateur de carrière, espéré par tous les professeurs en classe préparatoire.
2017 : la réforme du PPCR
Les choses demeurent ainsi plus de quarante ans. Puis arrive le projet du PPCR (« parcours professionnels, carrières et rémunérations »), lequel prévoit, outre la disparition des avancements au choix, au grand choix ou à l’ancienneté, d’étendre la classe exceptionnelle (qui existait déjà en 1948 pour quelques rares corps de la haute administration) à presque tous les corps de l’Éducation Nationale – sauf les chaires supérieures. Il est prévu pour les agrégés une classe exceptionnelle, qui, au-delà des chevrons HEA1, HEA2 et HEA3, accéderaient à la hors-échelle de catégorie B, chevrons HEB1, HEB2 et HEB3, mais rien pour les chaires supérieures, qui resteraient coincés à la hors-échelle de groupe A. Le SNALC juge le projet inacceptable, se bat aux côtés des professeurs de classe préparatoire, et le Ministère finit par reculer. Le décret du 5 mai 2017 stipule que le corps des agrégés comprend désormais trois grades. Le décret du 14 juin 2019 institue, de façon rétroactive au 01/09/2018, un échelon spécial qui est ajouté après le sixième pour les chaires supérieures, correspondant à la hors-échelle de catégorie B, chevrons HEB1, HEB2 et HEB3. La lutte a été chaude. Combat gagné ? Pour l’essentiel, oui, mais pas tout à fait. Le diable se cache dans les détails. Si l’échelon spécial n’existe pas pour les professeurs agrégés, les autres corps enseignants des premier et second degrés, qui ne peuvent accéder à la hors-échelle A de la classe exceptionnelle que via un échelon spécial, savent qu’il constitue un nouvel obstacle à franchir. Comme pour le passage à un grade supérieur, le passage à l’échelon spécial n’est pas automatique au bout d’un nombre d’années fixé à l’avance, mais dépend d’un quota de promotions, et de l’avis du corps d’inspection. Autrement dit, le passage à l’échelon spécial n’est pas assuré, et après avoir progressé très rapidement jusqu’au sixième échelon, un professeur de chaire supérieure peut rester coincé à la hors-échelle de catégorie A. Tandis que de l’autre côté… Certes, les agrégés doivent eux aussi passer le barrage de la hors-classe et surtout celui de la classe exceptionnelle. Mais les promouvables à la classe exceptionnelle sont répartis en deux viviers, dont le vivier 1 « fonctions », beaucoup plus favorable à la promotion. Et par définition, les agrégés en classe préparatoire font partie du vivier « fonctions ». C’est dire que la promotion à la classe exceptionnelle des agrégés paraît alors plus facile à obtenir que l’échelon spécial de la chaire supérieure. Et une fois que les agrégés sont à la classe exceptionnelle, la carrière se déroule jusqu’au bout quoi qu’il arrive (sauf départ en retraite), à un rythme parfaitement défini à l’avance, jusqu’au dernier chevron HEB3. Bien sûr, la progression de carrière des agrégés demeure plus lente que celle des chaires supérieures, mais certains commencent à faire leurs calculs. Un bon « tiens » vaut mieux que deux « tu l’auras », dit le proverbe. Le barrage, pour les agrégés, est à l’entrée de la classe exceptionnelle. Pour les chaires supérieures, le barrage est au dernier échelon, l’échelon spécial, et pas avant. Plutôt que d’accepter la chaire supérieure et d’attendre pour savoir s’ils obtiendront finalement l’échelon spécial, certains font alors un choix radical : refusant la chaire supérieure, ils préfèrent la classe exceptionnelle des agrégés, soit une carrière au départ plus lente, mais qui arrivera bien plus sûrement au bout…
Notons que cette comparaison perpétuelle entre agrégés et chaires supérieures, qui ne serait venue à l’idée de personne en 2010, a engendré un abus de langage, les collègues parlant souvent de façon impropre de la classe exceptionnelle des chaires supérieures, en pensant bien sûr à la hors-échelle de catégorie B, obtenue également par les agrégés au sommet de la classe exceptionnelle, alors que nous l’avons vu, la chaire supérieure ne comporte toujours qu’un seul grade.
2023 : linéarisation et défonctionnalisation
Le décret du 4 août 2023 vient définitivement de remettre les pendules à l’heure. Deux modifications changent à nouveau la donne. Première modification : la linéarisation de l’échelon spécial. Autrement dit, l’échelon spécial devient le septième échelon, obtenu automatiquement après le temps voulu, exactement comme les autres échelons. Deuxième modification : la disparition du vivier « fonctions » pour la classe exceptionnelle. Les enseignants en éducation prioritaire peuvent regretter le vivier 1. Les agrégés en classe préparatoire peuvent eux y voir la fin de leurs maux de tête : la progression de carrière en chaire supérieure se fait désormais à un rythme unique et prévisible, jusqu’au dernier chevron HEB3. À l’inverse, l’obtention de la classe exceptionnelle, pour un professeur de classe préparatoire, ne va plus de soi. Dès lors, demeurer agrégé en classe préparatoire si on a la possibilité d’obtenir la chaire supérieure, pour quelle raison ? Pour des indices désormais identiques, la progression de carrière est beaucoup plus rapide en chaire supérieure, ne peut connaître aucun arrêt, contrairement à celle des agrégés, et les heures supplémentaires sont toujours mieux payées.
Retour à la situation pré-PPCR, où la chaire supérieure dominait largement le match contre l’agrégation, donc ? Plus encore, de 1974 à 2017, chaires supérieures comme agrégés en CPGE étaient quasiment assurés de parvenir à HEA3, quoiqu’à un rythme différent. Aujourd’hui, les professeurs de chaire supérieure sont assurés de parvenir à HEB3, alors que les agrégés, non.
Quelle raison pourrait donc pousser désormais un agrégé en classes préparatoires à refuser la chaire supérieure ? Aucune, vraiment. Sauf…sauf… : la disparition inopinée, et incompréhensible, de certaines classes préparatoires.
On l’a vu au début de cet article, le statut de la chaire supérieure, c’est la classe préparatoire. Alors, qu’arrive-t-il à l’enseignant si celle-ci ferme ? Si l’enseignant est agrégé, il est soumis à une mesure de carte scolaire, bonification de 1500 pts à l’intra (parfois plus dans quelques académies) pour obtenir le lycée vacant le plus proche de son poste. Utile si l’enseignant a une famille et un conjoint ne pouvant quitter son travail du jour au lendemain. Ce qui n’empêche pas l’agrégé de postuler pour d’autres emplois dans le supérieur, ni bien sûr de postuler à d’autres postes en classe préparatoire. L’avantage de l’agrégé dans cette situation, c’est que s’offre à lui un certain choix. En revanche, pour le professeur de chaire supérieure qui ne peut enseigner qu’en classe préparatoire, donc nommé par l’Inspection générale, aucune mesure de carte scolaire ni bonification à la clef, pas moyen d’échapper à la décision de l’administration. C’est une garantie de retrouver un poste en classe préparatoire, bien sûr. Mais si celui-ci est à 200 km du précédent, que devient alors la vie de famille du professeur ? Certes, l’Inspection se montrera humaine et compréhensive, mais elle restera limitée par les possibilités d’affectation. Certes, croire que l’administration peut supprimer ainsi sans crier gare le poste d’un professeur qui déplaît pour l’expédier le plus loin possible sans aucune procédure disciplinaire relève sûrement de la paranoïa… Mais enfin, s’il demeure un point de fragilité dans le statut et la carrière des professeurs de chaire supérieure, c’est désormais celui-là et aucun autre.
Raison de plus, outre toutes les autres, pour se battre contre le scandale de la fermeture des classes préparatoires parisiennes aujourd’hui, banlieusardes ou provinciales demain.