
À chaque drame, on parle de sécurité, de portiques, de contrôle des sacs. C’est parfaitement légitime. Mais il n’est jamais question de santé scolaire, lâche Maxime Reppert, vice-président du syndicat enseignant SNALC. Le système actuel ne permet pas de véritablement contrôler et d’alerter sur la santé mentale des élèves. Il n’y a pas assez d’infirmières, de psychologues, de médecins scolaires. Les enseignants, eux, ne sont pas forcément tenus au courant des cas lourds. La santé scolaire est totalement défaillante, » assène-t-il.
Le 24 avril, un lycéen de 16 ans, élève d’un établissement catholique sous contrat nantais apparemment sans histoire, a fait irruption dans un cours et tué de 57 coups de couteau l’une de ses camarades. Il s’en est ensuite pris à trois autres élèves. Avant cela, Justin P. s’était enfermé dans les toilettes de son établissement. Il avait envoyé une sorte de manifeste d’écologie radicale de 13 pages, revendiquant une « révolte biologique » pour rétablir « l’équilibre naturel, même cruel ». Il s’était scarifié le front avec un couteau de chasse et avait écrit sur les murs qu’il voulait qu’on lui « tranche la gorge ».
« Je ne peux pas dire mes motivations parce que j’ai trop de raisons dans la tête en ce moment », aurait-il ensuite expliqué lors d’une audition qui n’a pu être menée à son terme, son état n’étant pas compatible avec une garde à vue, a estimé un psychiatre. Il est désormais hospitalisé en unité psychiatrique.
Le procureur de Nantes a décrit un adolescent « extrêmement solitaire », ayant « peu d’amis, voire pas du tout », « à l’évidence suicidaire ». Sa mère était inquiète. Depuis le mois de janvier, elle l’emmenait consulter des « personnels éducatifs » de la maison des adolescents de Nantes. L’équipe enseignante, elle, avait repéré sa fascination pour Hitler. À la veille des vacances de printemps, il avait été convoqué avec sa mère.
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Chaque année, les quelque 8000 infirmières de l’Éducation nationale réalisent 18 millions de consultations. Et jouent les pompiers de service, de la gestion des plans d’adaptation pour des élèves en situation de handicap toujours plus nombreux aux dispenses de sport, en passant par le bilan des 12 ans, l’éducation à la santé et à la sexualité, les troubles anxieux, les addictions, les transitions de genre et la bobologie quotidienne.
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Après le fait divers de Nantes, le débat s’est largement focalisé sur les couteaux, les fouilles aux entrées des établissements scolaires et des détecteurs de métaux. Le sujet de la santé mentale, lui, est politiquement moins rentable. « Il faut que l’on comprenne comment un jeune peut commettre un acte de ce type, mais surtout que l’on soit mieux armé pour prévenir, orienter et repérer des jeunes en difficulté », a cependant expliqué la ministre de l’Éducation nationale, Élisabeth Borne, estimant que « ce drame met en lumière les enjeux de santé mentale ».
La ministre a justement l’occasion de prendre le sujet à bras-le-corps avec les Assises de la santé scolaire, qui se tiendront mercredi 14 mai. Annoncées en juin 2024, elles ont fait l’objet d’un travail préparatoire avec les différents acteurs, médecins, infirmiers, psychologues et assistantes sociales. Sans bruit.
Au même titre que la santé mentale décrétée « grande cause nationale 2025 », l’événement fait peu parler de lui.
Voilà pourtant plusieurs années que des rapports, de la Cour des comptes en 2020 à celui du député Renaissance Robin Reda rendu en mai 2023, alertent avec des chiffres qui laissent sans voix. Dans l’Éducation nationale, on compte un infirmier pour 1600 élèves, un psychologue pour 1500, un assistant social pour 4000 élèves et un médecin scolaire pour 13.000 élèves ! Une situation qui promet de se dégrader puisque près de la moitié de ces médecins a plus de 60 ans.
Dans ces conditions, 60 % des bilans infirmiers des 12 ans sont réalisés et seuls 20 % des élèves de 6 ans ont leur visite médicale obligatoire.
Dans le même temps, le nombre d’élèves « à besoins éducatifs particuliers » augmente et la santé mentale des jeunes se dégrade. Selon l’étude nationale sur le bien-être des enfants menée en 2022 par Santé publique France, 13 % des 6-11 ans présentent au moins un trouble psychique. L’enquête EnClass 2022 révèle, elle, que 15 % des adolescents présentent un risque élevé de dépression et que 13 % des lycéens auraient déjà fait une tentative de suicide.
Les situations de violence et de maltraitance ne sont pas étrangères à cet état de fait. En 2023, le rapport de la Ciivise a établi que deux enfants par classe sont victimes de violences sexuelles. Du côté de la santé physique, les constats sont aussi inquiétants. Entre 20 % et 30 % d’une classe d’âge présentent des troubles de la vision, souvent silencieux, avec un impact direct sur les apprentissages. Les infections sexuellement transmissibles sont en nette augmentation chez les 15-25 ans. […]
Déserts médicaux
S’ajoute à cela la problématique générale de l’accès aux soins. Environ 30 % des enfants n’ont pas de médecin traitant. Pour certaines familles, seule la médecine scolaire permet de détecter les problèmes de santé. […]
Les médecins scolaires, rémunérés environ 2000 euros net mensuels en début de carrière, sont aussi moins payés que d’autres médecins fonctionnaires et sont privés de l’essence même de leur métier : l’acte de prescription. L’attractivité n’est donc pas au rendez-vous.
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Élisabeth Borne en aura-t-elle ? Mercredi, à l’issue des Assises de la santé scolaire, la ministre fera des annonces. Mais l’on sait déjà qu’il ne sera pas question de moyens supplémentaires.
Il semble que l’Éducation nationale envisage davantage une optimisation des ressources. Elle a imaginé un « service de santé des élèves », un nouveau pôle regroupant médecins, infirmiers, assistants sociaux et psychologues de l’Éducation nationale, qui interviendrait sur sollicitation des établissements. […]
