Professeur et secrétaire national SNALC aux conditions de travail et au climat scolaire, Maxime Reppert est revenu, pour Yahoo, sur la décapitation, vendredi 16 octobre, de Samuel Paty, professeur d’histoire-géo au collège du Bois d’Aulne, à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines). Il évoque aussi la peur, l’insécurité, le sentiment d’abandon et la dépréciation du métier d’enseignant. Et l’inquiétude. Terrible. Grandissante. Une inquiétude qui “ne date pas de vendredi”.
À retrouver sur le site d’Yahoo Actu – vidéos. Interview diffusée le 19 octobre 2020
Citation:
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Vendredi soir, quand j’ai appris la chose, j’ai eu du mal à y croire. Il a été décapité parce qu’il était prof. Cela m’a plongé dans une émotion très vive parce qu’il est père de famille, d’un jeune enfant comme je le suis. Cela m’a profondément attristé, choqué, je me suis dit : « c’est pas possible ! » Je ne veux pas que ce qui s’est passé soit inutile. Je ne veux pas qu’on se dise : « ce collègue-là, il est mort pour avoir enseigné, on va faire deux ou trois rassemblements, on va allumer quelques bougies et on va passer à autre chose ». Non ! Je pense que ce qu’il s’est passé, c’est un drame humain qui touche la république. Que des choses arrivent comme ça, en France, en 2020, c’est surréaliste.
Malheureusement, il faut bien tenir compte du contexte. Ce climat, pour les enseignants, est extrêmement stressant, angoissant, on va droit dans le mur. Je rappelle quand même que l’an dernier, on a eu quand même toute une série de suicides médiatisés. Je suis inquiet pour l’intégrité physique des enseignants. Je suis inquiet pour l’intégrité psychologique des enseignants. Ça ne date pas de vendredi. Aujourd’hui, en tant qu’enseignant, je me sens menacé par rapport à ma fonction, par rapport à ma mission républicaine, par rapport à ma façon d’enseigner par exemple, les valeurs fondamentales de la république. Personnellement, lorsque j’enseigne, je suis conscient de sujets essentiels, parfois qui peuvent être évoqués. La question de la laïcité, la question de la liberté d’expression, la question de l’éthique. J’ai déjà eu une fois un élève qui s’était montré menaçant, qui avait fait un pas en avant, comme s’il voulait me frapper. Il ne l’a pas fait. Les enseignants sont des professionnels. On doit surmonter cette peur-là. Cela n’est pas simple. Parce que c’est vrai qu’actuellement, on a un sentiment d’abandon, un sentiment très cruel. Simplement, enseigner, aujourd’hui, c’est difficile. C’est pas simplement difficile pour les professeurs d’histoire géographie. C’est difficile tout court. Il y a la dépréciation du métier d’enseignant. C’est une dépréciation engendrée ou accentuée par les différents gouvernements. Et puis, il y a des faits de société que nous ne maîtrisons pas. Ce qui se passe dans la sphère privée de l’élève, ce sont des choses sur lesquelles mais nous n’avons pas d’emprise. Mais, il ne faut jamais oublier que la première sphère d’apprentissage de l’enfant, ce n’est pas l’école, c’est la famille. Quand on a à faire à un comportement qui est, comment dire, anormal, voire dangereux, on doit en faire la remontée. Je vais vous donner un exemple très simple : au lendemain des attentats terroristes de 2015, j’ai un élève qui m’a parlé de bons et mauvais terroristes. J’étais assez interloqué, ses camarades également. J’ai arrêté mon cours et on a échangé pendant le reste de l’heure. Cela fait une douzaine d’années que j’enseigne. Il y a une forme d’intrusion par certains parents dans la manière dont les professeurs doivent faire leur travail. Par exemple, j’ai déjà reçu des parents qui voulaient me voir parce qu’ils ne comprenaient pas pourquoi, à l’époque, on étudiait l’Islam en classe de cinquième. Nous ne faisions pas de l’histoire religieuse, c’était l’étude de la civilisation musulmane. On n’est pas là pour enseigner un dogme. Je me dis que quand on a ce genre de choses-là qui arrive, cela montre encore plus l’importance de l’école. L’école n’est pas un bien de consommation. |