comment les profs victimes de violences sont pris en charge ?
Publié le 24 oct. 2018 19:04 – Par Amandine Rebourg
S’ils se sentent pour beaucoup délaissés et bien souvent seuls face à la gestion de ces cas extrêmement difficiles, ces professeurs trouvent-ils du soutien ailleurs que dans le cadre de l’établissement ? Existe-t’il des structures dédiées pour entendre leur mal-être ?
Dans le cas de l’affaire de la professeure de biotechnologie, l’académie de Créteil explique à LCI qu’elle réfléchit déjà à la mise en place d’un dispositif d’accompagnement pour les élèves et les enseignements. “Nous sommes en période de vacances scolaires, des informations ont été adressées au relais enseignants pour connaître les besoins, nous attendons des retours”, assure l’académie. “Mais nous allons mettre un dispositif en place pour accompagner les enseignants et les élèves, comprendre ce qu’il s’est passé, expliquer pourquoi c’est inacceptable, écouter les équipes et les élèves”, précise-t-on.
Plus largement, explique l’académie, “dès qu’un événement se produit, on positionne un dispositif d’écoute. Si un enseignant est en difficulté, pour des problèmes de santé, dans un état psychologique compliqué, on l’accompagne avec un dispositif à l’année. Dans des situations particulières, nous avons des équipes mobiles de sécurité divisées en deux pôles : un pole sécurité pour servir de médiation et de prévention des conduites violentes mais aussi, un deuxième pôle éducatif avec des CPE, enseignants, spécialistes du climat scolaire et des psychologues qui mettent en place des cellules d’écoute”.
Mais de préciser malgré tout que “l’académie de Créteil n’est pas particulièrement identifiée dans ce phénomène #pasdevague. On a un message académique très clair sur le sujet : nous demandons que toute difficulté soit remontée pour un traitement rapide de la situation. On suit les problématiques et on a un travail de longue haleine sur ces sujets”.
A Nantes, un centre de réadaptation a vu le jour pour prendre en charge les personnes “en souffrance”. Sur la base du volontariat, ces personnels de l’éducation nationale, souvent en arrêt maladie depuis un an, sont pris en charge pour leur offrir un retour au sein de l’institution en conformité avec leur état de santé. “Ce sont des stages thérapeutiques pour les raccrocher à la réalité du monde du travail”, explique Béatrice Cousin, en charge de ce centre de réadaptation à l’académie de Nantes, à LCI. Résultat d’une convention signée entre la MGEN et l’académie, en tout, ce sont six centres en France qui peuvent prendre en charge ces personnels de l’éducation nationale. Ils sont alors accompagnés au cours de ces stages par des psychologues du travail, suivi par des médecins de prévention et peuvent faire leur retour devant une classe, avec un tuteur. “On ne fait pas qu’accompagner ces personnes, on peut les reclasser, dans l’institution également, dans l’administratif par exemple”, précise Mme Cousin.
Victimes d’un profond malaise au sein de l’institution, “ces personnels se montrent pourtant très peu critiques à l’égard des élèves. Ils ne les rendent pas responsables de leurs difficultés, c’est frappant. Cela veut dire que la relation avec l’élève est préservée”, analyse cette spécialiste. Et de préciser que “c’est l’acte d’enseignement qui devient comme une vraie douleur psychique”. Parfois même, en parler avec le supérieur hiérarchique va “cristalliser ce mal-être”.
Avec un bémol malgré tout dans cette prise en charge, le manque criant de médecins de prévention sur le terrain. Car ce sont eux qui émettent des avis sur le retour de ces personnes “sur le terrain professionnel”. Selon le procès verbal de la réunion du CHSCT de l’Education nationale, 83 médecins de prévention sont en poste dans les académies pour un effectif de 946 903 agents, soit un taux de suivi de 1 médecin pour 11 408 agents…
Si certains enseignants trouvent une oreille attentive auprès de ces dispositifs académiques, d’autres se tournent vers des cellules d’écoute anonyme. Celle mise en place par le SNALC, Syndicat national des lycées et collèges, recueille les témoignages des personnels enseignants. Maxime Reppert, à l’origine de ce dispositif explique à LCI que de nombreux personnels appellent dont de nombreux personnels “du premier degré”. “La souffrance touche plus le premier degré que le second. Dans le premier degré, il n’y a aucun filtre, il est tout de suite en contact avec les parents, l’inspecteur et le supérieur administratif et pédagogique”.
“On nous rapporte des faits de violences physiques et psychologiques. Des enseignants racontent qu’ils sont bousculés, insultés. Ils évoquent des parents qui s’opposent aux heures de colle et le sentiment d’être abandonné par l’administration qui va souvent dans le sens des parents. Nous avons eu le cas d’une professeure qui, à la suite de plusieurs alertes incendie déclenchées par des élèves, a développé des acouphènes irréversibles. Une autre collègue, reconnue travailleur handicapé, devait s’absenter pour des raisons médicales mais n’était pas remplacée systématiquement, des parents ont bloqué le collège pour qu’elle soit renvoyée. Elle n’a reçu aucun soutien psychologique, aucune excuse… Il y a un véritable mal-être qui se développe”, dit-il.
Des appels constatés souvent au moment de la rentrée des classes lorsque les enseignants “appréhendent”. “Ou avant les vacances de Noël, car c’est une période de gestion difficile pour les élèves”, explique Maxime Reppert. Pour lui, “la souffrance est réelle, elle est devenue la norme, ce n’est plus une exception. Nos collègues ont besoin de se sentir écoutés. Il faut briser leur isolement”. Auteur d’un mémorandum sur “la souffrance des professeurs et personnels non enseignants de l’Education Nationale”, il indique à LCI l’avoir adressé à de nombreux parlementaires… celui-ci est resté sans réponse.
Un isolement que beaucoup attribue à l’absence de réaction ou une minimisation des faits de la part de la hiérarchie. “Les conseils de discipline sont mauvais pour l’image de l’établissement”, nous explique un enseignant de Seine-Saint-Denis, en lycée professionnel. “Ils sont souvent vus comme étant la marque d’une mauvaise tenue de l’établissement, et les chefs d’établissement n’aiment pas ça”, nous dit-il. Mais de relativiser sur les effets de ces conseils : “on va exclure un élève mais on va en récupérer un autre. Et puis dans certains cas, on exclue l’élève et il sera scolarisé ailleurs, et son comportement n’aura pas changé. Ou il sera scolarisé ailleurs et sera en danger”.
Malgré tout, lorsqu’un enseignant est victime de violences, verbales ou physiques, beaucoup ont expliqué à LCI que la réaction première est la solidarité, “avec le droit de retrait”, explique un autre enseignant à LCI. Quid de la hiérarchie ? “Souvent, les actions de soutiens qu’engagent les personnels d’encadrements ne sont pas visibles. L’équipe pédagogique n’est jamais mentionnée. La personne se sent abandonnée”, nous explique Béatrice Cousin.
Ces incidents graves comme celui survenu à Créteil sont-ils nombreux en France ? D’après les statistiques de la DEPP, la direction de l’évaluation de la prospective et de la performance, qui dépend du ministère de l’Education nationale, les chiffres sont stables, selon les dernières constatations datant de décembre 2017. Au cours de l’année 2016-2017, 13,8 incidents pour 1 000 élèves ont été déclarés dans les établissements publics du second degré et un chef d’établissement sur cinq ne déclare aucun incident, précise l’étude.
De celle-ci, il en résulte que les violences physiques sont surreprésentées dans les collèges (34.2%). D’autre part, la quasi-totalité des incidents graves recensés en établissement sont commis par des élèves (91,5 %) et près de 40% de ces actes sont envers du personnel de l’établissement. “Dans de telles situations, la victime est très souvent un professeur (sept cas sur dix). Finalement, la part d’incidents graves relevant d’élèves envers les enseignants s’élève à 27,4 %”, indique l’organisme.
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