Intéressons-nous à ce que vivent ces enseignants en poste adapté, qui constituent pratiquement la moitié de l’effectif du CNED (2200 agents en tout)1. Ces postes sont de deux sortes : de courte durée (PACD, un an renouvelable dans la limite de trois ans) et de longue durée (PALD, quatre ans renouvelables). Les PALD au CNED sont réservés aux «personnels atteints d’une affection chronique invalidante et stabilisée, les rendant inaptes à un retour vers l’enseignement devant élèves et relevant d’un exercice à domicile de l’emploi. »2. Depuis 2007, le statut de PALD a succédé à celui de réemploi, qui garantissait une affectation définitive. La crainte de ne pas se voir renouvelé rend plus difficile un travail dans la sérénité et les situations de souffrance au travail sont aggravées par cette inquiétude pour l’avenir, qui dissuade certains collègues de réagir pour se préserver 3.
Après un parcours difficile, comprenant souvent plusieurs années de congé maladie, le retour à une activité professionnelle au CNED peut être vécu de différentes manières. C’est souvent un soulagement de renouer avec la vie professionnelle, même s’il faut faire le deuil du « présentiel ». Il y a aussi la volonté de s’accrocher à cette chance de rester dans la vie active, et d’échapper à la perspective angoissante de la retraite pour invalidité. Dans certains cas, cela peut être une délivrance : évoquons ici une enseignante aveugle, très heureuse de pouvoir mener ses activités professionnelles en autonomie, car en présentiel, elle était entièrement dépendante d’une assistante.
On pourrait donc se dire que sur de tels postes, les conditions de travail sont adaptées à un public à la santé fragile et ayant un suivi médical contraignant. Or, c’est loin d’être toujours le cas. Pour quelles raisons ?
Tout d’abord, le CNED est un établissement qui manque de stabilité. Suite à une érosion importante de ses inscrits, les restructurations se sont enchaînées depuis plusieurs années, sans forcément améliorer la situation… Les enseignants en poste adapté ne sont pas encadrés comme ils le devraient. Aucun texte ne règlemente d’ailleurs leurs obligations de service ! D’un site à l’autre (il y en a huit), des pratiques plus ou moins opaques ont cours sur le temps de travail, les congés, la manière de calculer le quota de copies attribué, etc.
De plus, ces collègues sont – plus ou moins explicitement – déconsidérés. Le terme de « professeur nommé », expression propre au CNED, est en lui-même significatif. Voici ce qu’en dit une collègue, qui a travaillé quelque temps sur le site de Vanves : « quand on arrive au CNED, on se voit apposer l’étiquette « prof nommé » dont on découvrira rapidement que c’est une étiquette infamante, caractérisant notre infériorité existentielle. Un « prof nommé », dans l’esprit du lieu, c’est un handicapé, fatalement mental, et un feignant à qui on donne du travail par charité. Alors qu’il n’aille pas se plaindre, car on le renverra à son néant. »
Cette déconsidération touche également les professeurs qui corrigent des copies à domicile, activité la plus fréquente. À cet égard, le rapport de la Cour des comptes de 20134 est édifiant. En effet, se fondant sur des chiffres fournis par le CNED, il produit un tableau dans lequel le nombre moyen de copies corrigées par jour par un vacataire (généralement un enseignant en poste qui arrondit ses fins de mois) serait de 28 contre… 4 pour un enseignant en poste adapté ! On voit tout de suite comment il est ensuite facile de faire accroire que le CNED est une « planque » pour profs feignants…
Cependant, ces chiffres ne prennent en compte ni les congés de maladie ni les allègements de service forcément plus fréquents étant donné les pathologies des collègues, ni la désorganisation du CNED qui peut faire que certains d’entre eux restent des semaines, voire des mois sans qu’on leur donne de copies à corriger ! C’est donc en quelque sorte une double peine… D’autant que seul l’aspect quantitatif est ici pris en compte.
La pression sur les « professeurs correcteurs » du CNED s’est accentuée ces dernières années. Tout d’abord, le manque de règlementation concernant leurs obligations de service a engendré des abus, car les sites, qui ont dû faire des efforts budgétaires pour limiter les vacations, ont eu toute latitude pour augmenter leur charge en termes de correction de copies. Un inepte « contrôle qualité » (sic), visant à vérifier la qualité formelle de la correction des copies ou de celle des échanges avec les élèves via le tutorat a été mis en place : il faut être « conforme » (re-sic) si l’on veut voir son poste renouvelé. Ensuite, la correction de copies électroniques (écrites et orales), aux nombreux avantages pédagogiques, s’est largement développée : or, ce travail est bien plus chronophage que la correction sur papier ! Ce fait est pourtant nié par la direction qui feint de croire qu’il ne s’agit que d’un problème qui se résoudra par de la formation…
Il y a une réelle souffrance face à un accroissement très net de la charge de travail les semaines où le quota de copies est plein, d’autant que le nombre de niveaux à corriger a également augmenté. Si l’on ajoute à cela une gestion des ressources humaines qui, bien loin de prendre en considération l’humanité des individus, semble se contenter d’imaginer que des enseignants qu’on ne voit jamais vont bien pour la simple raison qu’ils ne se manifestent pas et rendent à temps leurs copies, on comprend mieux la détresse profonde dans laquelle se trouvent certains collègues. Quelques avancées se dessinent malgré tout : le SNALC continue sans relâche son action pour améliorer les conditions de travail des collègues.
(1) Le reste des effectifs est constitué de personnels administratifs et techniques (fonctionnaires affectés à titre définitif et d’enseignants en détachement ou mise à disposition (entre un et trois ans, renouvelable aussi). Des contractuels complètent les effectifs.
(2) Circulaire n° 2007-106 du 9-5-2007 ; précisons que des enseignants en poste adapté peuvent se voir affectés, avec leur accord, sur les sites géographiques : ils y font du suivi d’élèves ou de la conception de contenus pédagogiques.
(3) Voici par exemple ce qui est arrivé à une collègue qui a fait depuis un burn-out :
“Fraîchement opérée du dos, j’ai été recrutée par le CNED en septembre 2008 pour ma dernière année de poste adapté de courte durée (PACD) dans le cadre d’un projet « urgent » (une commande du Ministère). Il s’agissait de concevoir et intégrer des contenus interactifs pour un niveau d’anglais. La mission était séduisante et j’étais très motivée par une reconversion… Mais j’ignorais que la plate-forme était en construction et que les autres contenus n’étaient ni intégrés ni même conçus. Lorsque l’on m’a annoncé que la livraison du projet était attendue pour novembre, j’ai eu un accès de panique. Le délai a d’abord été repoussé à mars, puis à octobre 2009. Treize mois de course contre la montre. […] En réalité, ma responsable hiérarchique qui portait le projet s’est totalement déchargée sur moi, et je n’étais pas en position de refuser car j’espérais une embauche.”
(4) Le CNED, un établissement public d’enseignement inadapté à la formation en ligne, p. 424 –
https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/EzPublish/2_3_1_etablissement_public_enseignement_CNED.pdf