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SQOOLTV : Une rentrée avec ou sans ministre ?

« Les difficultés que nous pouvons rencontrer sont effectivement : avons-nous 100 % des enseignants ? La réponse est non. Et nous ne les aurons pas tout au long de l'année. »
Jean-Rémi Girard
Président du SNALC

En ce jour de rentrée scolaire, comment appréhender cette nouvelle année, en pleine instabilité politique ? Ces vacances auront-elles été une trêve ou un moment de réflexion ? Qu’en pensent les acteurs de l’éducation ? 

Jean-Rémi Girard, président du SNALC,  répond aux questions sur SQOOL TV Le grand JT de l’éducation le 02 septembre 2024.

SQOOL TV – Virginie Guilhaume

[…] Pour vous citer, vous l’aviez déjà dit début juillet dernier, “la rentrée est déjà faite”, Jean-Rémi Girard.

Ça veut donc dire quoi ? Ça veut dire que les chefs d’établissement et les recteurs, finalement, ce sont eux qui, aujourd’hui, gèrent cette rentrée bien plus que le ministre ?

SNALC – Jean-Rémi Girard

Oui, tout à fait. Le travail du ministère se fait très, très en amont, et c’est surtout un agenda politique : des réformes, la mise en œuvre d’un certain nombre de choses.

Mais le travail concret, lui, se fait au niveau des académies, puis au niveau des écoles et des établissements scolaires. C’est-à-dire que nous, on va s’occuper des élèves.

Les difficultés que nous pouvons rencontrer sont effectivement : avons-nous 100 % des enseignants ? La réponse est non. Et nous ne les aurons pas tout au long de l’année.

On le sait déjà, puisqu’en cette année, la situation est assez similaire à celle des deux années précédentes en termes de manque de postes et de difficultés à remplacer.

SQOOL TV – Virginie Guilhaume

Pourtant, ce matin, Nicole Belloubet a bien dit sur France Inter qu’elle faisait tout pour qu’il y ait un professeur devant chaque élève pour cette rentrée 2024.

SNALC – Jean-Rémi Girard

Elle fait tout, mais ce n’est pas parce qu’elle fait tout que cela va se réaliser.

«on a l'impression que tout le monde n'a pas pris conscience qu'en réalité, elle n'est pas vraiment ministre.»
Jean-Rémi Girard
Président du SNALC

SQOOL TV – Virginie Guilhaume

Pourquoi prendre la parole ce matin, dans ces conditions, sur une grande station comme France Inter, en tant que ministre, certes démissionnaire, mais tout de même ministre de l’Éducation, ou du moins en charge des affaires courantes, pour affirmer qu’il y aurait un professeur devant chaque élève, ou en tout cas sauf cas exceptionnels, mais qu’elle faisait tout pour cela ? Pourquoi cette communication ?

SNALC – Jean-Rémi Girard

Alors, moi je trouve ça très étrange, parce que cela fait maintenant environ 50 jours que le gouvernement a démissionné. La ministre démissionnaire a quand même tenu une conférence de presse de rentrée.

J’avoue que je n’ai pas très bien compris, et au SNALC non plus, en quoi une conférence de presse de rentrée fait partie des affaires courantes. Il ne nous semblait pas que c’était le cas… ou encore ses visites dans les écoles, etc. On a l’impression que ministre démissionnaire et ministre, c’est à peu près la même chose.

Elle parlait déjà de généraliser l’expérimentation concernant les téléphones portables en janvier ; elle disait que les mesures sur la réforme du brevet étaient pour l’instant gelées, mais qu’elles allaient reprendre dès qu’il y aurait un nouveau gouvernement.

Enfin, on a l’impression que tout le monde n’a pas pris conscience qu’en réalité, elle n’est pas vraiment ministre.

Donc, c’est très bizarre qu’elle fixe un cap alors qu’elle n’est pas en capacité de le fixer. Peut-être que dans une semaine, ce cap sera complètement différent.

«...[les] évaluations nationales et la multiplication de celles-ci [...] sont très fortement rejetées par les professeurs des écoles depuis le début.»
Jean-Rémi Girard
Président du SNALC

SQOOL TV – Virginie Guilhaume

Vous êtes tous unis, je parle des syndicats, dans cette grève ?

SNALC – Jean-Rémi Girard

Pour l’instant, nous n’avons pas encore appelé à la grève. À l’heure où nous nous parlons, nous sommes en train d’en discuter en intersyndicale, et ce n’est pas une grève de rentrée de l’Éducation nationale.

La proposition concerne uniquement le premier degré, spécifiquement sur le point des évaluations nationales et la multiplication de celles-ci, qui sont très fortement rejetées par les professeurs des écoles depuis le début.

Donc, s’il y a une journée de grève, ce sera très spécifiquement sur ce sujet.

Ce n’est pas la “grève fourre-tout” où l’on rassemble toutes les revendications pour les présenter à la rentrée.

Pour l’instant, au SNALC, nous n’avons pas pris position.

«Effectivement, les moyens concrets, ce sont ceux de l'établissement ou de la collectivité locale, donc du département pour les collèges, qui a peut-être autre chose à faire que d'acheter des casiers en urgence pour la rentrée.»
Jean-Rémi Girard
Président du SNALC

SQOOL TV – Virginie Guilhaume

On parle de la pause numérique, vous l’avez évoquée, cela a été annoncé dans le discours de rentrée.

On en a reparlé effectivement ce matin avec une expérimentation dans 200 collèges — je crois que ce ne sont que des collèges, pas des lycées — avant une généralisation prévue pour janvier 2025.

Concrètement, ça veut dire quoi ? Des casiers ? Les téléphones dans les sacs ? Qui va payer les casiers ? Comment fait-on ? L’argent vient d’où ?

SNALC – Jean-Rémi Girard

Alors, l’argent provient soit des collectivités locales, soit de l’établissement lui-même. Ce n’est pas l’État qui finance, cela a été clairement dit : l’État ne met pas d’argent.

Donc l’État propose une expérimentation et envisage une généralisation sans avoir le pouvoir politique de le faire, une fois encore on le rappelle, parce qu’en janvier, on ne sait pas très bien ce qui va se passer.

Mais effectivement, les moyens concrets, ce sont ceux de l’établissement ou de la collectivité locale, donc du département pour les collèges, qui a peut-être autre chose à faire que d’acheter des casiers en urgence pour la rentrée.

En soi, nous ne sommes pas contre, au SNALC, sur le principe — le téléphone portable est un vrai souci, je crois que c’est à peu près la quatrième fois qu’on l’interdit au collège.

SQOOL TV – Virginie Guilhaume

Oui, parce que ce n’est pas tout nouveau, n’est-ce pas ? Ça date de 2019, non ? Ou 2018, c’est ça ?

SNALC – Jean-Rémi Girard

Oui, c’était Jean-Michel Blanquer. Là, c’est une modalité différente. Si c’est appliqué, il est difficile de vérifier, d’être derrière chaque élève, de s’assurer que le téléphone est bien éteint au fond du sac et qu’il ne soit pas allumé dans la poche.

« Très clairement, c'est ce que nous avons toujours dit au SNALC. D'ailleurs, nous avions transmis aux chefs d'établissement et aux enseignants un document indiquant que le texte réglementaire était tellement mal écrit et flou, qu'il était possible de l'interpréter de diverses façons et donc de faire à peu près ce que l'on voulait.»
Jean-Rémi Girard
Président du SNALC

SNALC – Jean-Rémi Girard

[Sur l’organisation du “choc des savoirs” en collège]

Autant de collèges, autant d’organisations.

On avait déjà eu un sérieux signal d’alerte lorsque l’enseignement privé sous contrat avait déclaré : “Si nous n’avons pas les moyens suffisants, nous ne l’appliquerons pas.” Je ne crois pas que les rectorats aient vraiment vérifié de près ce qui s’est passé à la rentrée dans les collèges privés.

Partant de là, les collèges publics pourraient aussi se dire : “De toute façon, puisque le privé fait bien ce qu’il veut, et qu’il n’y a plus de pouvoir politique suffisamment fort pour nous l’imposer, nous allons essayer de trouver les solutions les plus adaptées aux élèves.” Cela pourrait signifier, par exemple, organiser des demi-groupes, proposer des heures de soutien, et ne pas forcément aligner toutes les heures de français et de mathématiques pour tous les niveaux de 6e et 5e, sur toutes les heures de toute la semaine, ni échanger les élèves toutes les quatre semaines, comme cela avait été pensé par la ministre. C’est déstructurant au possible.

SQOOL TV – Virginie Guilhaume

Cela vous paraît-il incohérent de dire que, si l’on n’a pas les moyens de le faire, on ne le fait pas, quitte à ne pas déstabiliser ?

SNALC – Jean-Rémi Girard

Non, cela nous semble cohérent de ne pas le faire si on n’a pas les moyens de le faire.

Très clairement, c’est ce que nous avons toujours dit au SNALC. D’ailleurs, nous avions transmis aux chefs d’établissement et aux enseignants un document indiquant que le texte réglementaire était tellement mal écrit et flou, qu’il était possible de l’interpréter de diverses façons et donc de faire à peu près ce que l’on voulait.

Nous pensons que cela va progressivement s’effilocher et se dissoudre, comme beaucoup de réformes de ce type, surtout quand il n’y a pas de pouvoir politique derrière pour les maintenir. On verra très vite dans les établissements que, faute de personnel, d’heures suffisantes, et avec les tensions créées au sein des équipes — par exemple, en prenant des heures d’anglais pour les convertir en heures de français, ou en supprimant des doublons en sciences pour fabriquer des heures de mathématiques —, il est très probable que l’on abandonne rapidement.

« Peu importe où en est le texte, nous aurons un ou une ministre de l'Éducation nationale à un moment donné, et si cette personne ne souhaite pas publier les textes, ils ne seront pas publiés. »
Jean-Rémi Girard
Président du SNALC

SQOOL TV – Virginie Guilhaume

Donc, pas de redoublement en tout cas, c’est sûr, c’est ce qui a été annoncé ce matin, pour ceux qui ratent le brevet ?

SNALC – Jean-Rémi Girard

Alors, il ne s’agissait pas du redoublement, mais des prépa-secondes, c’est-à-dire que l’idée était de généraliser les classes de prépa-seconde pour ceux qui n’ont pas obtenu le brevet.

Nous, au SNALC, nous n’étions pas contre le principe — nous étions d’ailleurs un peu les seuls, mais peu importe, nous l’assumons. En revanche, nous avions averti dès le départ des problèmes de logistique. Les résultats du brevet, cette année, sont tombés le 6 juillet. Donc, décider de l’orientation d’un élève le 6 juillet, c’est un peu tard. Nous avions donc dit que ce serait inorganisable. Et effectivement, la ministre a mis les deux pieds sur le frein en disant : “Non, non, ça, on ne va pas le faire.”

SQOOL TV – Virginie Guilhaume

Pour être cohérent jusqu’au bout, pourquoi étiez-vous “pour” ?

SNALC – Jean-Rémi Girard

Nous, au SNALC, nous sommes plutôt favorables à ce que l’on appelle des années de “propédeutique”, c’est-à-dire des années préparatoires pour les élèves qui vont rencontrer de grandes difficultés en seconde, ce que les collègues constatent souvent.

Nous trouvions intéressant de créer une classe pour les préparer à la seconde, mais dans des conditions qui n’étaient absolument pas garanties. Si c’est pour mettre 34 élèves qui n’ont pas obtenu le brevet dans une même classe de prépa-seconde, je peux déjà vous dire que cela ne fonctionnera pas.

SQOOL TV – Virginie Guilhaume

Et pourquoi une prépa-seconde et pas un redoublement de troisième ?

SNALC – Jean-Rémi Girard

Cela se passait au lycée, et nous trouvions plus intéressant que ce soient les professeurs de lycée qui préparent les élèves à la classe de seconde, car ce sont eux qui allaient pouvoir assurer la continuité.

De toute façon, ça ne va pas avoir lieu, puisque très clairement, ce n’est plus d’actualité.

En revanche, quand la ministre dit que “le brevet 2025, le brevet à venir, va changer”, je tiens à rappeler qu’elle n’a pas la compétence politique ni décisionnaire pour faire ce genre d’annonce aujourd’hui. Peu importe où en est le texte, nous aurons un ou une ministre de l’Éducation nationale à un moment donné, et si cette personne ne souhaite pas publier les textes, ils ne seront pas publiés.

Pour l’instant, nous disons simplement : “Le brevet ne change pas.”

SQOOL TV – Virginie Guilhaume

Mais c’est d’ailleurs ce qu’elle dit, elle affirme que “les annonces ont été gelées”.

« c'est le principe d'une expérimentation dans l'Éducation nationale : on n'évalue jamais rien. C'est toujours la grande spécialité de notre pays »
Jean-Rémi Girard
Président du SNALC

SQOOL TV – Virginie Guilhaume

Il s’agit surtout de combattre l’inégalité et le communautarisme scolaire, car c’est tout de même le sujet principal.

SNALC – Jean-Rémi Girard

Oui, alors l’uniforme reste assez symbolique de ce point de vue. Par exemple, on ne fournit pas les chaussures, donc les inégalités vestimentaires vont apparaître ailleurs, en dehors du polo, du blazer ou de ce qui aura été choisi.

Il faut aussi noter que cette expérimentation est financée par des deniers publics, ce ne sont pas les familles qui paient. Cela signifie que si l’on envisage une généralisation de cette mesure, ça va coûter une somme absolument colossale. Il est donc irréaliste de penser que tout cela puisse être financé par l’État seul.

Pour nous, l’uniforme n’est pas une priorité. Ça existe, par exemple, en Martinique, où la tenue d’établissement est en place depuis longtemps. Ça ne pose pas de problème particulier, mais ça n’a pas non plus transformé l’académie de Martinique. 

En réalité, tout cela relève plus de l’occupationnel et de la communication politique. On en a beaucoup parlé, et au final, il y a 90 établissements où ça va être mis en place. Mais on est déjà incapables d’évaluer l’impact, on le sait d’avance.

SQOOL TV – Virginie Guilhaume

C’est tout de même le principe d’une expérimentation.

SNALC – Jean-Rémi Girard

Oui, c’est le principe d’une expérimentation dans l’Éducation nationale : on n’évalue jamais rien. C’est toujours la grande spécialité de notre pays.

SQOOL TV – Virginie Guilhaume

Dès le début de la rentrée, Jean-Rémi Girard est déjà bien là !

« on s'est rendu compte que finalement, ce n’était pas si mal, en fait, une rentrée sans ministre. Et qu’au final, pour la rentrée, le ou la ministre n’est peut-être pas la personne la plus importante. »
Jean-Rémi Girard
Président du SNALC

SQOOL TV – Virginie Guilhaume

Dernière petite question, vraiment, ça ressemble à un quiz. Qui ? Rue de Grenelle ?

Une idée ?

SNALC – Jean-Rémi Girard

Non, mais on s’est rendu compte que finalement, ce n’était pas si mal, en fait, une rentrée sans ministre. Et qu’au final, pour la rentrée, le ou la ministre n’est peut-être pas la personne la plus importante.