Au nombre des principales atteintes à la laïcité recensées et publiées par le ministère figurent le port de signes et de tenues, les contestations d’enseignement, le refus d’activités scolaires, les provocations verbales, les revendications communautaires, le refus des valeurs de la République et la suspicion de prosélytisme.
D’où proviennent ces atteintes ? De certains élèves, de plus en plus nombreux, de certains parents, notamment dans le premier degré, mais également, dans une moindre mesure, de certains collègues.
Parmi celles-ci, les contestations d’enseignement sont devenues monnaie courante.
« Près de six professeurs sur dix déclarent avoir connu au moins une contestation de cours dans leur carrière, dont la moitié depuis septembre 2021. […] Les plus fréquentes […] n’affectent pas l’enseignement d’une discipline mais l’enseignement des valeurs. L’égalité entre les hommes et les femmes, la mixité, la laïcité, la liberté de l’orientation sexuelle sont particulièrement vilipendées. » [1]
Toutefois, si les chiffres publiés par le ministère semblent rassurants, ils ne sont en réalité que la partie émergée de l’iceberg. D’après Jean-Pierre Obin, les collègues ne signalent que rarement les atteintes à la laïcité, soit parce qu’ils « pensent avoir résolu par leur propre intervention le problème auquel ils se sont trouvés confrontés et ne voient pas la nécessité de le signaler. […] d’autres ne signalent pas un incident parce qu’ils n’ont pas su le traiter. » Enfin, « de leur propre aveu, environ la moitié des chefs d’établissement disent ne pas signaler au rectorat les faits d’atteinte à la laïcité dont ils sont informés. »[2]
Pour le SNALC, cet état de fait ne doit pas nous conduire à baisser la garde et moins encore à renoncer à transmettre et faire appliquer la laïcité. Il existe des outils, des ressources, à la fois humaines et réglementaires, qui, mises en œuvre de manière collégiale et solidaire, feront la preuve de leur efficacité.
Le SNALC soumet à votre réflexion quatre axes pour agir : anticiper, clarifier, signaler, sanctionner.
Anticiper
Certes, le risque zéro n’existe pas. La mémoire de nos collègues Samuel Paty et Dominique Bernard en apportent le douloureux témoignage. Néanmoins, anticiper les atteintes à la laïcité nous mettent à l’abri de bien des tensions et conflits qui pourraient surgir de manière intempestive.
Les moments propices
Plutôt que de subir la rituelle grand-messe du 31 août, mettre à profit la réunion de pré-rentrée pour évoquer la laïcité aura le mérite de rappeler aux collègues le cadre réglementaire dans lequel s’exercent les droits et devoirs des personnels (tous confondus), ceux des élèves et ceux des parents. À cette occasion, des situations spécifiques à chaque école ou établissement pourront être évoquées et trouver des réponses collégiales adaptées.
Les réunions de rentrée en présence des parents donneront utilement prétexte à aborder le principe de laïcité, souvent sujet à des incompréhensions ou interprétations erronées. On pourra leur expliquer la finalité émancipatrice de l’École de laquelle découlent la neutralité de tous personnels, le rôle du professeur, les droits et devoirs des élèves, des parents. Et insister sur le fait que l’école ne prend nullement le contre-pied des croyances et traditions inculquées aux enfants au sein des familles, mais offre à l’enfant devenu élève une deuxième vie qui crée les conditions pour le futur adulte de faire des propres choix.
L’on pourra aussi porter à la connaissance des parents le site du ministère où sont présentés les programmes scolaires nationaux et rappeler que ces derniers ne sont ni négociables, ni contestables. Scolariser son enfant à l’école publique implique l’accord tacite des enseignements dispensés. Les parents qui ne seraient pas d’accord avec leur contenu ont toujours la possibilité de choisir une école privée. Ceci est par ailleurs une liberté garantie par la laïcité !
Un référent laïcité investi dans sa mission saura amener le sujet avec doigté et diffuser les informations utiles.
Le règlement intérieur
Au lieu de le réduire à sa portion congrue, il peut être étoffé en fonction des projets éducatifs menés au sein de l’établissement et préciser, par exemple, les modalités d’accueil des élèves lors de certaines cérémonies ou encore les règles lors des sorties scolaires, etc…
La charte de la laïcité pour les parents accompagnateurs de sorties scolaires
L’équipe éducative peut rédiger une charte sur le modèle de celle proposée dans le vadémécum laïcité pour le premier degré. Envoyer son enfant à l’école publique implique d’accepter ses règles. Faire signer une charte aux parents permet de passer d’un accord tacite à un accord explicite.
Le Conseil pédagogique
C’est l’instance où les collègues ont la possibilité de soumettre à discussion des événements majeurs tels l’organisation de la minute de silence (16 octobre) ou encore la journée de la laïcité (9 décembre). Un événement bien préparé sécurise les personnels et assure en grande partie la sérénité de son déroulement.
Clarifier
« Assurons-nous bien du fait, avant que de nous inquiéter de la cause », écrivait au XVIIe siècle le philosophe Fontenelle. Il n’en va pas autrement pour déterminer qu’il y a bien atteinte à la laïcité. De manière générale, des éléments visibles immédiatement, tel le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse, ne sauraient prêter à confusion.
Mais il est des situations où lever toute ambiguïté peut s’avérer nécessaire. Par exemple, un élève a-t-il contesté un enseignement par simple ignorance, parce qu’il restitue sans réfléchir une idée reçue ou par une volonté réelle de remettre en cause la légitimité d’un savoir ?
Ainsi, clarifier le sens des paroles proférées ou des actes commis en faisant reformuler les propos tenus ou en sondant les raisons profondes d’une attitude, permettront d’apporter aux élèves une explication des règles la plus fine et rigoureuse possible. Et au besoin, de recourir à la sanction adaptée…
Signaler
Échanger sur les faits d’atteinte observés avec ses pairs et avec sa hiérarchie participe indubitablement d’une communication efficace au sein de l’école ou de l’établissement. En effet, apporter des réponses de manière collégiale et univoque constitue la meilleure stratégie pour faire autorité. En matière de laïcité, la solidarité est le meilleur allié des personnels.
Néanmoins, il arrive – hélas ! – que les liens de confiance entre collègues voire vis-à-vis de la hiérarchie directe ne soient pas au beau fixe. Dans ce cas, il faut se saisir des outils mis à disposition des personnels.
Le premier outil, c’est-à-dire le plus direct au niveau local, est bien entendu le rapport écrit. Il présente l’avantage de laisser une trace qui servira éventuellement à constituer un dossier en vue d’une sanction disciplinaire. Et la hiérarchie ne pourra arguer qu’elle n’était pas au courant… La rédaction doit être factuelle et bannir toute émotion ou jugement à l’emporte-pièce.
Le formulaire dématérialisé de signalement d’atteinte à la laïcité, en ligne sur Éduscol (voir ci-dessous), est accessible à tous les personnels. Il préserve leur anonymat. Le collègue qui envoie le signalement est rappelé ensuite par la cellule nationale qui prendra simplement note des informations données par le lanceur d’alerte et les transmettra aux EAVR. Celle-ci pourront ensuite apporter une réponse au problème rencontré sur place.
[1] In : Jean-Pierre Obin, Les profs ont peur, L’Observatoire, 2023, p. 18.
[2] Ibid., pp. 39-40.
Sanctionner
Selon la gravité de l’infraction, les personnels feront le choix de la sanction la plus appropriée. Pour le SNALC, celle-ci doit intervenir à partir du moment où les règles ont été expliquées.
L’échelle réglementaire des sanctions figure à l’Article R511-13 du Code de l’éducation. Elle comprend :
« 1° L’avertissement ;
2° Le blâme ;
3° La mesure de responsabilisation ;
4° L’exclusion temporaire de la classe. Pendant l’accomplissement de la sanction, l’élève est accueilli dans l’établissement. La durée de cette exclusion ne peut excéder huit jours ;
5° L’exclusion temporaire de l’établissement ou de l’un de ses services annexes. La durée de cette exclusion ne peut excéder huit jours ;
6° L’exclusion définitive de l’établissement ou de l’un de ses services annexes. »
Soulignons qu’une atteinte grave aux valeurs de la République doit obligatoirement conduire le chef d’établissement à convoquer un conseil de discipline tel qu’il est prévu par le Décret n° 2023-782 du 16 août 2023 relatif au respect des principes de la République et à la protection des élèves dans les établissements scolaires relevant du ministre chargé de l’éducation nationale.
La procédure de dialogue, obligatoire avant tout conseil de discipline, ne signifie en aucun cas le recours à une quelconque négociation et proscrit de reculer sur l’application stricte des règles de laïcité scolaire. Le dialogue a uniquement pour objectif d’expliquer le sens des règles afin qu’elles soient bien comprises et, ce faisant, admises.
L’importance la posture professionnelle
Tous les personnels sont astreints au devoir de neutralité (cf. Article 25 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 modifiée portant droits et obligations des fonctionnaires modifié par la loi du 20 avril 2016), envers les « usagers » (élèves, parents, intervenants extérieurs…) comme envers leurs pairs :
« Le fonctionnaire exerce ses fonctions dans le respect du principe de laïcité. A ce titre, il s’abstient notamment de manifester, dans l’exercice de ses fonctions, ses opinions religieuses. » Il « traite de façon égale toutes les personnes et respecte leur liberté de conscience et leur dignité. »
Du latin « neuter » qui signifie « ni l’un, ni l’autre », la neutralité implique non pas un manque de considération des diverses options spirituelles, mais exclut tout parti pris. La laïcité n’étant pas antireligieuse, les élèves restent ainsi libres d’exprimer leurs croyances, dans les limites octroyées à leur liberté d’expression (art. R511-8 du code de l’éducation) mais l’enseignant (ou le CE, le CPE, etc…), s’il n’a pas à dénigrer ces croyances, ne peut que se placer du côté du savoir vérifié.
C’est pourquoi, face aux questions vives de l’actualité qui déchaînent souvent les passions, le professeur a le devoir d’apprendre à ses élèves la distance critique. Son recul scientifique est fondé par sa fonction qui soumet toute affirmation à l’examen de la raison. Car les professeurs, comme les chefs d’établissement, les CPE, les AED, les AESH, … ne sont ni des animateurs ni des commentateurs télé…
Certes, dépassionner les questions brûlantes demande du temps et de la patience. Il s’agit d’une œuvre pédagogique de longue haleine. Enseigner la distinction entre croire et savoir, apprendre à penser : voilà toute l’ambition de l’École.