Jean-Rémi Girard, président national du SNALC et Stéphanie Hamm, proviseure adjointe à la cité scolaire Kléber, reviennent sur la suppression de 81 postes d’enseignants à la rentrée dans l’académie de Strasbourg sur BFM Alsace dans l’émission “Bonjour l’Alsace” du 24 mai 2023.
Jean-Rémi Girard
On peut parler d’hémorragie qui dure car il y avait déjà eu près de 8000 postes supprimés sous le quinquennat précédent. La démographie a parfois bon dos car quand le nombre d’élèves augmente, on supprime des postes, quand le nombre d’élèves diminue, on continue de supprimer des postes. Nous disons, au SNALC, qu’on aurait pu profiter de la baisse démographique qu’on est en train de vivre pour améliorer les conditions de travail des professeurs et des élèves, avoir des classes moins chargées au lieu de fermer des classes, fermer même des établissements complets.
Journaliste BFM
La baisse démographique, c’est l’argument du ministère de l’Éducation nationale pour ces suppressions de postes ?
Jean-Rémi Girard
Oui, c’est tout à fait ce que l’on nous dit au ministère de l’Éducation nationale. Mais, une fois encore, lors du quinquennat précédent, entre le début et la fin, on a eu une augmentation du nombre d’élèves dans les collèges et les lycées, et on a supprimé près de 8000 postes de professeurs de collège et lycée et donc dégradé les conditions de travail de tout le monde.
Journaliste BFM
Je m’adresse à vous, qui êtes proviseur-adjointe : il y a ces chiffres nationaux, locaux pour l’Alsace… les conséquences concrètes pour vous qui êtes à la tête d’un établissement scolaire : comment ça se traduit dans votre travail au quotidien ?
Stéphanie Hamm
Depuis quelques mois, on a engagé des travaux de préparation de rentrée, il est encore tôt pour tirer des conclusions sur la rentrée. Mais nous sommes très inquiets aujourd’hui par cette préparation de rentrée 2023 ; à ces suppressions de postes s’ajoutent forcément des inquiétudes pour les recrutements (au niveau des concours) des personnels aussi pour la rentrée prochaine et l’accompagnement des contractuels, en tout cas au sein des établissements.
Journaliste BFM
Les conséquences, ça veut dire “des classes chargées” ?
Stéphanie Hamm
Oui, de toutes façons, des classes chargées. Et l’inquiétude d’avoir effectivement des enseignants qui seront présents devant chaque classe. Et en cas d’absence, des enseignants qui seront remplacés.
Journaliste BFM
Cette problématique du recrutement est récurrente ? Il y a une crise des vocations dans l’Education nationale ?
Jean-Rémi Girard
Oui, nous le disons au SNALC : on a aujourd’hui la plus grande crise que l’Education nationale ait jamais connue. Ça fait des années qu’on a une crise et qu’on ne recrute plus aux concours chez les professeurs de collège et de lycée, dans pas mal de disciplines, les lettres classiques, les mathématiques, l’allemand – dont on sait que c’est une discipline très enseignée [ici en Alsace]. Cette crise est en train de toucher également les professeurs des écoles : académie par académie, on commence à ne plus arriver à recruter des PE dans les écoles primaires de Versailles, de Créteil… mais ça va finir par toucher l’essentiel du pays et l’académie de Strasbourg aussi.
Journaliste BFM
Vous aussi dans votre établissement, vous évoquez les préparatifs de la rentrée et vous vous inquiétez déjà. Comment fait-on ? On fonctionne avec du bouche-à-oreille ? On compte sur le rectorat pour envoyer des professeurs ? Est-ce que vous mettez des choses en place pour trouver des professeurs à mettre devant les classes ?
Stéphanie Hamm
Comme je vous l’ai exprimé, on est encore tôt sur la préparation de cette rentrée ; on va d’abord avoir des vagues successive d’affectations : à la fois les personnels titulaires qui participent au mouvement, les sortants de concours qui vont être affectés et, in fine, sur les postes restés vacants, sur le début des vacances scolaires, les contractuels. Effectivement, nous serons dans le dialogue avec notre institution et nous espérons qu’à la rentrée, l’ensemble des postes seront pourvus.
Journaliste BFM
En Alsace, il y a eu des job dating – on évoquait le recrutement des profs d’allemand – ça a été le cas plusieurs fois. Les job dating sont courant dans le monde du travail ; pour des professeurs, ça peut surprendre un peu ?
Jean-Rémi Girard
Oui, c’est très surprenant parce qu’on n’est pas dans le secteur privé, dans une entreprise. Le recrutement des professeurs, à la base, c’est par concours puisqu’on est dans la fonction publique. Si on a recours à ces pratique de job dating, c’est pour recruter des professeurs qui n’ont pas le concours, ce qu’on appelle des contractuels, qui sont très peu formés et encore plus mal payés que les titulaires – c’est dire qu’ils ne sont vraiment pas payés beaucoup. On passe une demi-heure d’entretien la plupart du temps et hop ! “bon pour le service!”. Imaginez que votre chirurgien, on l’ait recruté dans un entretien d’une demi-heure : est-ce que vous seriez rassurés ? Pas forcément… On en est à essayer de mettre des cautères sur une jambe de bois : rien ne va plus dans l’Education nationale, c’est la catastrophe. Ce qu’on appelle “le plus beau métier du monde”, plus personne n’a envie de le faire, parce que c’est devenu mal payé, très compliqué à exercer au quotidien, tout se dégrade, on a de la réunionnite à ne plus savoir qu’en faire et aujourd’hui, on n’arrive plus à trouver des gens pour devenir enseignant en France: c’est très grave.
Journaliste BFM
Qu’est-ce qu’on fait maintenant face à ce constat ? Quelles sont vos demandes ?
Stéphanie Hamm
Je vais me permettre de rebondir sur ce qu’a dit Jean-Rémi. En tant qu’élue SNALC au CSA, le Comité social d’administration, nous constatons que, dans l’académie, nous sommes amenés à accompagner de plus en plus de collègues, tous personnels de l’Education nationale, des AED, des AESH, des enseignants, des personnels administratifs… qui sont découragés, qui sont en butte à des difficultés parce que ce sont des métiers où nous sommes tous très exposés ; on peut espérer qu’il va y avoir une vraie prise de conscience de cette problématique de la dégradation des conditions de travail et, en tout cas au SNALC, nous y sommes attachés.
Journaliste BFM
L’intersyndicale appelle à une mobilisation dans quelques jours : vous en ferez partie ?
Jean-Rémi Girard
Nous appelons, au SNALC, dans un cadre très très large, déjà le 31 mai 2023 à se rassembler devant les rectorats pour montrer notre opposition, notamment à la politique du “Pacte” : on nous demande de travailler plus pour gagner plus alors qu’on n’arrive même pas à nous recruter – et c’est toujours les mêmes qui doivent en faire plus ! Et le SNALC participe également à la grande journée du 6 juin contre la réforme des retraites et pour de meilleurs conditions de travail.