Stupéfaction dans le monde de l’Éducation nationale après le décès d’une collègues dans sa salle de classe suite à une agression.
Jean-Rémi Girard, président du SNALC, intervient dans C à vous le 22 février 2022
Anne-Elisabeth Lemoine :
Bonjour Jean-Rémi Girard, vous êtes le président du Syndicat National des Lycées, Collèges, Écoles et du Supérieur (SNALC). Vous êtes également professeur de français. “Le temps de l’enquête viendra”, dit le ministre de l’Éducation Nationale. Pour l’instant, c’est le temps de la solidarité nationale et de l’émotion. Il y a l’émotion, le choc et aussi la colère, Jean-Rémi Girard.
Jean-Rémi Girard :
Il y a avant tout la stupéfaction ! C’est-à-dire que ce n’est quand même pas courant, c’est même quasiment jamais arrivé qu’un enseignant soit tué dans sa classe par un élève. C’est quelque chose de quasi inconnu dans notre système scolaire. Il y a vraiment ce choc, il y a cette émotion absolument terrible de se dire que cette collègue est partie, comme tous les jours, faire ses cours et n’est pas rentrée pour finir au cimetière, simplement pour être allée enseigner. Et la colère car c’est tellement injuste, c’est quelque chose d’absolument inconcevable en fait, donc forcément, toute la communauté enseignante, toute la communauté éducative est sous le choc.
Anne-Elisabeth Lemoine :
Un enseignant tué dans l’exercice de ses fonctions est une tragédie qui fait forcément écho à l’assassinat de Samuel Paty, le 16 octobre 2020. C’est un traumatisme qui est évidemment encore présent dans toutes les têtes.
Jean-Rémi Girard :
Le traumatisme de Samuel Paty est effectivement toujours très présent chez nos collègues. Nous sommes sur deux événements qui sont assez différents. Avec les éléments de l’enquête que nous avons, il faudra attendre de voir exactement ce qui s’est passé. Pour Samuel Paty, nous avons vu qu’il y avait toute une mécanique, tout un enchaînement avec du fondamentalisme et Charlie Hebdo. Aujourd’hui, nous sommes plus probablement (et je reste très prudent) sur quelque chose qui ressemble plus à un acte isolé dont il va falloir creuser les motivations. C’est un acte qui a eu lieu en classe, ce qui n’avait pas été le cas pour Samuel Paty.
Anne-Elisabeth Lemoine :
Cela donne le sentiment que cela peut arriver à tout le monde et dans tous les établissements.
Jean-Rémi Girard :
Et parce que cela peut arriver à tout le monde et dans tous les établissements, c’est-à-dire que l’on a des établissements où il y a plus de violence, on le sait, il y a des enquêtes du ministère qui disent que, par exemple, il y a plus d’incidents, nous sommes toujours très pudiques au ministère de l’Éducation nationale, il y a plus d’incidents dans les lycées professionnels que dans les lycées généraux et technologiques, dans les établissements d’éducation prioritaire que dans les établissements qui ne le sont pas. Sans aucun doute. Si nous n’avons pas cette enquête, il y a plus d’incidents dans le public que dans le privé, mais cela n’empêche pas qu’un élève qui disjoncte ou un adulte parfois – car il y a de plus en plus de conflits avec les familles – cela peut arriver n’importe où. Nous n’avons pas le profil psychologique de nos élèves, nous ne savons pas de quoi ils peuvent être capables. Et effectivement, dans un établissement qui a priori n’a aucune des caractéristiques des établissements dits difficiles, c’est là où ce drame se produit.
Anne-Elisabeth Lemoine :
Cela ne veut pas dire qu’il faille tirer des conclusions sur la situation, l’état de la violence à l’école.
Jean-Rémi Girard :
Cela ne veut pas dire que ce qui s’est passé soit un marqueur de la situation de l’Éducation nationale. La situation de l’Éducation nationale, nous le disons au SNALC depuis très longtemps et nous avons tous les indicateurs du ministère qui le montrent, est dégradée et compliquée. Nous avons une crise des vocations. Le constat est établi, cela ne veut pas dire que si nous avions tout résolu et que tout marchait bien, cela ne se serait pas produit. C’est même assez probable que cela se serait quand même produit. Donc il y a d’un côté l’état de notre système éducatif qui n’est pas bon et il y a de l’autre côté ce qui s’est produit et qui est probablement effectivement quelque chose qui est plus de l’ordre du “le risque 0 n’existe pas. »
Anne-Elisabeth Lemoine :
Il n’existe pas, n’a jamais existé ou existe de moins en moins.
Jean-Rémi Girard :
Le risque 0 n’a jamais existé. Nous pouvons ensuite, et c’est probablement ce qui va se passer, essayer de réfléchir collectivement à ce que nous pouvons faire pour réduire le risque et j’espère que nous ne sortirons pas de choses symboliques ou faciles comme : si nous mettons des portiques qui détectent les métaux à l’entrée, il n’y aura plus de danger, ce qui est un n’est pas vrai, deux nous avons déjà essayé, cela ne marche pas, trois cela crée des attroupements d’élèves et donc nous augmentons le risque au niveau des attentats. Nous aurons peut-être des réflexions aussi sur d’autres choses.
Anne-Elisabeth Lemoine :
C’est vrai que le fait qu’on puisse arriver au lycée ou au collège avec une arme blanche pose question.
Jean-Rémi Girard :
Évidemment, cela soulève des questions. Nous ne sommes de toute façon pas en mesure et nous n’avons pas le droit de fouiller les sacs de nos élèves. Les assistants d’éducation et les CPE n’ont pas non plus le droit de fouiller les effets personnels des élèves. Nous ne sommes pas des agents de police ou de la douane. Nous pouvons réfléchir à des moyens de renforcer la sécurité, mais il y aura toujours des armes qui ne sont pas métalliques et des objets dangereux qui pourront être introduits dans l’établissement. Par conséquent, nous ne pouvons garantir une sécurité absolue. Nous reconnaissons que la situation s’est dégradée. Cependant, cet acte aurait pu se produire dans n’importe quelle situation. Nous espérons que cela aidera à sensibiliser à la nécessité de limiter les risques, notamment en renforçant l’encadrement dans les établissements scolaires. Nous manquons considérablement d’assistants d’éducation et de personnel. Nous avons également besoin de personnel psychologique et infirmier pour aider les élèves qui en ont besoin.
Emilie Tran Nguyen :
Justement, selon deux lycéens, dont le témoignage a été recueilli par le journal Sud-Ouest, l’élève prenait des médicaments contre le stress. La semaine dernière, une étude de Santé Publique France a révélé que les cas de dépression chez les 18-24 ans avaient presque doublé, en partie à cause de la crise sanitaire. Dans les établissements scolaires, constatez-vous également une augmentation du nombre d’élèves souffrant de troubles psychologiques ou psychiatriques ?
Jean-Rémi Girard :
Il est très difficile de faire des généralités et de dire que cela est uniquement dû au COVID. Il peut y avoir d’autres facteurs en jeu. J’enseigne dans un lycée à Asnières-Sur-Seine et j’ai remarqué que j’ai peut-être un peu plus d’élèves fragiles psychologiquement, plus stressés pour les contrôles continus, le baccalauréat, le COVID, un mélange de facteurs qui peuvent être à l’origine de cela. Cela peut être plus fréquent dans certains types d’établissements où il y a une plus grande pression, comme des familles qui mettent plus de pression sur leurs enfants. Je ne dis pas que c’était le cas de la famille de cet enfant, mais c’est peut-être ce profil-là. C’est pourquoi il est très important d’avoir une enquête approfondie pour savoir si des erreurs ont été commises et si le personnel aurait pu ou dû avoir connaissance de quelque chose. Cela permettrait de tirer des conclusions et de mettre en place des mesures concrètes si nécessaire.
Emilie Tran Nguyen :
Et concernant la présence de personnel, notamment psychologique, dans les écoles, il semble que cela soit difficile à obtenir, même en sachant qu’il est déjà compliqué d’avoir des infirmiers et infirmières scolaires aujourd’hui.
Jean-Rémi Girard :
Effectivement, il est de plus en plus difficile d’avoir des personnels de santé dans l’Éducation nationale, et on constate une absence de médecins. Les psychologues sont présents dans les collèges et lycées, mais sont principalement affectés à des missions d’aide à l’orientation des élèves. Ils ne sont pas spécifiquement formés pour la psychologie médicale. Par conséquent, les problèmes de stress peuvent être repérés et discutés avec les familles, mais doivent être gérés par les médecins de famille et non par l’Éducation nationale.
Anne-Elisabeth Lemoine :
Une minute de silence sera observée demain à 15h dans tous les établissements scolaires. Vous savez déjà ce que vous allez dire à vos élèves demain ?
Jean-Rémi Girard :
Je ne vais pas pouvoir dire grand chose puisqu’on a quand même des zones qui sont en vacances actuellement et je fais partie des zones en vacances.
Anne-Elisabeth Lemoine :
Qu’est-ce que vous conseillez de dire à vos collègues ?
Jean-Rémi Girard :
Ce qui est le plus souvent conseillé, on en avait justement parlé avec Samuel Paty est de voir si eux ont des choses à dire, ont des questions parce que le but du jeu ce n’est pas non plus de faire 1h sur : voilà, il y a une collègue qui a été assassinée, et cetera. À un moment les élèves ont peut être aussi envie de passer à autre chose ou de pas spécialement parler de ça et préfère quelchose qui est davantage ancrée dans la normalité comme faire le cours de maths. Ce n’est pas une obligation d’y passer un temps fou, ce n’est pas une obligation aussi de réagir sur l’instant. La minute de silence, c’est quelque chose qui nous paraît normal dans ce type de situation, maintenant, c’est plutôt voir si les élèves ont besoin de s’exprimer, souhaitent en parler, ça marche souvent mieux dans ce sens-là que dans l’autre ?
Anne-Elisabeth Lemoine :
Merci Jean-Rémi Girard, professeur de français et président du SNALC le syndicat national des lycées, collèges et écoles et du supérieur. Merci de votre présence ce soir.