La question se pose alors que le nombre de candidats admissibles aux concours de recrutement de l’Éducation nationale est en forte baisse. Il y a quelques mois, les enseignants alertaient sur la crise de vocation qui touchait le métier : trois fois plus de démissions qu’il y a 10 ans. Les chefs d’établissement sont aujourd’hui particulièrement inquiets sur leur capacité à mettre un enseignant devant chaque élève au 1er septembre 2022.
Jean-Rémi Girard, président du SNALC, réagit sur B SMART.
BSMART : Va-t-on vers une pénurie de profs à la rentrée ? Il y a quelques mois, les enseignants alertaient déjà sur la crise de vocation qui touchait le métier : 3 fois plus de démissions qu’il y a 10 ans. De nouveau la question se pose, puisque le nombre de candidats admissibles au concours de recrutement de l’Éducation nationale connaît une forte baisse. Alors faut-il s’alarmer de ce constat et comment cette baisse peut-elle impacter le bon fonctionnement des établissements scolaires dès la rentrée 2022 ?
Réponse avec nos invités Jean Klein, secrétaire général adjoint du SNUPDEN FSU le syndicat national unitaire des personnels de direction, Bonjour Jean Klein, merci d’être avec nous. Jean-Rémi Girard nous accompagne également, président national du SNALC, le syndicat des personnels de l’éducation nationale. Merci de nous accompagner également.
Jean-Rémi Girard peut-on vraiment parler de pénurie ? Faut-il s’inquiéter aujourd’hui de cette chute du nombre de candidats admissibles ?
Jean-Rémi Girard : Alors on peut parler de pénurie, il faut s’inquiéter et ça ne date pas de cette année non plus. Ce n’est pas juste un phénomène conjoncturel qui serait lié à cette année, il y a des facteurs conjoncturels qui aggravent les choses, mais on est depuis maintenant une bonne dizaine d’années, je dirais, dans quelque chose de structurel. Les postes au concours ne sont pas tous pourvus. Il y a des seconds concours de recrutement de professeurs des écoles à Versailles et à Créteil, et ça ne date pas là de cette année non plus. Il y a des disciplines qui sont en crise de recrutement, les mathématiques, l’allemand, les lettres classiques par exemple, et on a un recours aux professeurs contractuels, c’est-à-dire des professeurs qui n’ont pas le concours, qui sont embauchés parfois en cours d’année comme ça on peut les trouver.
BSMART : Un sur recours selon vous, aux professeurs, aux enseignants ?
Jean-Rémi Girard : Bien sûr. Un sur recours enfin, dans un monde idéal il n’y aurait que des professeurs avec le concours, ce serait le monde idéal mais ce n’est pas le monde réel, il y a des professeurs contractuels et effectivement il faut en prendre soin et compris syndicalement parce qu’effectivement ils sont beaucoup plus fragiles, ils ont beaucoup moins de sécurité d’emploi, mais c’est quand même compliqué car ce sont des gens qui ne sont parfois embauchés du vendredi pour le lundi avec des conditions de diplôme qui sont pas non plus énormes. Et ensuite j’allais dire, on croise les doigts pour que ça se passe bien dans un certain nombre de cas, ça se passe très bien et ce sont des personnes qui d’ailleurs restent et qui parfois passent le concours. Dans d’autres cas, c’est vrai que c’est parfois un peu plus compliqué,
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BSMART : J’aimerais bien qu’on explique à ceux qui nous regardent ce que ça signifie ça, on n’est pas juste sur une baisse du nombre d’inscrits ? Là, on parle bien d’une baisse du nombre de candidats admissibles ?
Jean-Rémi Girard : Oui on est sur une baisse de tout, mais de tout, on est sur une baisse du nombre d’inscrits, on est sur une baisse du nombre de présents parce que tous les inscrits ne se présentent pas forcément, il y en a quand même beaucoup qui ne se sont pas présentés et ensuite on est sur une baisse du nombre d’admissibles, c’est à dire ceux qui ont passé la la barre des écrits. Et comme le disait Jean Klein, tous les admissibles ne sont pas forcément admis, c’est même très rare que tous les admissibles soit admis puisque ensuite il y a encore 2 épreuves orales. Donc effectivement sur les chiffres qui sont donnés, il y en a d’autres qui sont du même tonneau, sur Créteil même sur Paris pour les professeurs des écoles, c’est la première année qu’à Paris, on ne va pas tout remplir. C’est incroyable. Donc oui, on va effectivement vers une année qui est une année noire en terme de recrutement.
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BSMART : Jean-Michel Blanquer, donc l’ancien ministre de l’Éducation nationale aujourd’hui, mettait en avant la récente réforme de la formation initiale et des concours qui aurait eu justement un impact sur les concours cette année. Selon vous, ce n’est pas juste ça qui fait qu’il y a un décalage aujourd’hui ?
Jean-Rémi Girard : Ce n’est pas juste ça, mais ça a un impact et ce qui est encore plus terrifiant, j’allais dire, ou enfin ça pourrait être drôle si ce n’était pas aussi aussi grave, c’est qu’on le savait, c’est à dire au moment où on a conçu cette réforme de la place du concours, on savait très exactement quels seraient les faits sur l’année de transition, c’est cette année l’année de transition. On savait très bien que, en repoussant le concours qui se passait avant en fin de M1, de master un et en le repoussant en fin de master 2, forcément on allait avoir des viviers moins importants puisque les étudiants qui ont eu le concours l’an dernier en master un ne vont pas le passer cette année en master 2.
BSMART : Donc on le savait, mais on n’a pas anticipé.
Jean-Rémi Girard : On ne l’a pas anticipé ? Au SNALC, on n’a pas été les seuls au niveau des organisations syndicales, on a dit « mais est-ce que vous avez prévu un dispositif transitoire ? » Ça avait déjà existé il y a quelques années, il y avait déjà eu un changement de place de concours, il y avait eu un dispositif transitoire pour justement prévenir cet effet là, là ça n’a pas été le cas. On s’est dit on y va, on regardera. Et en plus là, cette réforme de la place du concours, elle décourage les candidats très fortement. Il faut voir 2 choses, d’une part ceux qui font le master éducation, donc le fameux master MEF comme on dit dans le jargon, il se retrouvent en M2 à devoir faire leur mémoire de M2, à devoir également pour beaucoup faire une alternance, c’est à dire qu’ils enseignent 1/3 temps par semaine et à devoir en plus préparer le concours qui va se passer en fin de M2. Ils doivent faire les 3 et tout ça pour faire quoi l’année d’après ? Pour commencer stagiaires à temps plein ! Jusqu’à présent, les stagiaires, ils étaient à mi-temps et là, ils passent à temps plein comme c’était le cas quand il y avait une réforme sous Nicolas Sarkozy, on en avait tous tiré les conséquences, ça ne marchait pas. Les stagiaires à temps plein, ils explosent en plein vol et là, on le sait très bien. L’an prochain une grande partie des stagiaires à temps plein va exploser en plein vol.
BSMART : Pour rester sur les conséquences de cette pénurie de professeurs à la rentrée. Jean-Rémi Girard, c’est ça, c’est à dire qu’on va se retrouver avec des classes qui n’auront pas de cours d’Allemand, de mathématiques. Elles n’auront pas cours.
Jean-Rémi Girard : Alors il y en a déjà, effectivement parce que la crise n’est pas née pas d’aujourd’hui, ce sera effectivement d’essayer de trouver ces fameux contractuels, ce vivier de contractuels un peu n’importe où parfois pour parvenir à colmater les brèches. Il y a aussi un autre phénomène que j’allais presque dire est pensé de manière intelligente, mais en fait c’est affreux de le faire comme ça, qui est qu’on fait des réformes structurelles pour résorber le manque d’attractivité. La dernière réforme du lycée, il y a 2 disciplines qu’elle a complètement massacrées en termes de nombre d’heures dispensées. Quelles sont elles ? Les maths, le latin et le grec. Voilà c’est pratique quand on manque de professeurs de maths et de latin grec, vous voyez, c’est à dire que d’un seul coup, même si on n’arrive pas à les recruter comme on a besoin de moins et bien peut être que ça ne se verra pas tant que ça. Alors que des disciplines où l’on a moins de difficultés de recrutement, il y aura peut être pas beaucoup cette année, quand même et bien on pourra pallier. Mais en fait c’est terrible puisque finalement ce qui se passe c’est plus l’intérêt des élèves, l’intérêt pédagogique qui est mis en avant, c’est effectivement une sorte de gestion budgétaire adéquationiste d’offre et de demande où effectivement on n’a pas de prof de math, essayons de faire une réforme ou les élèves font moins de maths, et puis là, d’un seul coup on est peut être allé un petit peu trop loin. Oh là là, on va remettre des maths. L’année dernière dans l’Académie de Versailles, on a viré tout un tas de contractuels de maths parce que justement, les heures de maths ont disparu. Là, si ça se trouve à la rentrée prochaine, on va leur dire, est ce que vous pourriez revenir ? On a remis des maths, on aurait de nouveau besoin de vous. C’est pas impossible qu’il y ait un certain nombre de ces contractuels qui formulent une réponse pas très polie.
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BSMART : Jean-Rémi Girard, je suis obligé aussi de vous faire réagir même si je suis très en retard, 5 secondes pour nous dire si vous êtes optimiste ?
Jean-Rémi Girard : Nous ne sommes jamais optimistes. Nous sommes réalistes, nous allons nous entretenir avec le ministre très prochainement, nous verrons ce qu’il met sur la table et suivant ce qui est sur la table et bien éventuellement parfois nous signons, parfois nous cassons la table.