Alors que les professeurs sont de nouveau appelés à une journée de mobilisation contre le protocole sanitaire à l’école, Jean-Rémi Girard, président du SNALC, déplore que de nouvelles mesures sanitaires soient appliquées sans concertation avec le corps enseignant.
Jean-Rémi Girard, président du SNALC, syndicat de l’école au supérieur, répond aux questions du FIGARO le 18 janvier 2022
FIGAROVOX.- Médiapiart a révélé que Jean-Michel Blanquer a dévoilé le protocole sanitaire la veille de la rentrée scolaire par voie de presse, depuis son lieu de vacances, Ibiza. Jugez-vous le comportement du ministre de l’Éducation nationale désinvolte au vu de la situation sanitaire dans les écoles ?
Jean-Rémi GIRARD. – Sur un plan politique et symbolique, cela donne clairement une impression de désinvolture. Les collègues comprennent mal qu’on leur dise qu’ils doivent faire des efforts, appliquer des protocoles invraisemblables du soir pour le lendemain, tout cela pour se rendre compte que leur ministre ne suivait l’organisation de la rentrée scolaire que de très loin. Rappelons qu’un ministre de l’Éducation nationale doit avant tout être là pour expliquer la situation de l’École aux autres membres du gouvernement, afin que la politique décidée ne désorganise pas tout le système scolaire. Il a clairement failli de ce point de vue.
Au-delà de l’image véhiculée par Ibiza, c’est bien sur le fond qu’il y a eu un dysfonctionnement majeur : le ministre a accepté qu’on applique des mesures du jour au lendemain, mesures dont on n’a même pas cherché à prévenir correctement les collègues. Personnellement, en tant que professeur, les nouvelles mesures ne m’ont été transmises sur ma messagerie professionnelle que le lundi vers 11h. Nous devions déjà les appliquer depuis 3 heures. Certains n’ont absolument rien reçu. C’est pour le SNALC un élément essentiel pour comprendre la forte mobilisation de tous les personnels le 13 janvier dernier. C’est logique qu’un ministre communique dans les médias ; c’est en revanche un grave manque de professionnalisme qu’il ne s’assure pas que les personnes qui doivent concrètement appliquer les mesures ont été mises au courant.
Quelle est la situation actuelle dans les écoles ? Est-elle tenable pour les enseignants et les parents d’élèves ?
La situation est toujours très tendue. La proportion d’élèves absents est très importante, et c’est très compliqué d’avoir un enseignement continu, d’organiser des contrôles ou des bacs blancs, par exemple. Beaucoup de personnels sont également touchés et ne sont quasiment jamais remplacés. Les annonces faites par le Premier ministre au soir de la grève du 13 janvier demeurent insuffisantes, et surtout leur mise en œuvre ne se fait pas d’un claquement de doigts. On a une fois encore attendu qu’il soit trop tard pour réagir, alors qu’un syndicat comme le mien pose les problèmes de fond depuis plus d’un an et demi.
De manière très concrète, les écoles primaires, les vies scolaires des collèges et des lycées et les personnels infirmiers sont les trois secteurs les plus en tension, parfois à la limite ou au-delà du burn-out. Il faut bien comprendre que l’on a transformé chaque structure scolaire en mini-agence régionale de santé, dans laquelle on doit faire du «contact-tracing», de l’information sanitaire, du tableur pour assurer le suivi des positifs et des cas contacts, de la distribution et du recueil d’attestations variées, etc. Et tout ce travail est fait gratuitement, en plus et même souvent à la place de nos missions. Les assistants d’éducation (anciens surveillants) n’ont plus le temps pour faire leur travail habituel : ils sont dans des effectifs souvent réduits par la pandémie, en train de faire du Covid-19 toute la journée. Même chose pour les directrices et directeurs d’école primaire et leurs collègues, qui sont à bout.
Quel protocole sanitaire préconisez-vous ?
Le SNALC, avec beaucoup d’acteurs du monde éducatif, demande un collectif budgétaire pour l’éducation depuis la rentrée scolaire 2020 (oui, 2020). Nous comprenons parfaitement que l’État s’engage pour soutenir l’économie ou la culture ; nous comprenons moins qu’il n’ait rien fait depuis un an et demi pour soutenir l’École. Nous avons besoin de personnels, nous avons besoin de travaux dans nos établissements, dans nos cantines. Nous avons aussi besoin que le ping-pong entre l’État et les collectivités locales cesse sur la question de la qualité de l’air. Rappelons aussi que jusqu’à présent, notre employeur ne nous distribuait que des masques tissus, dont certains laissent tellement tout passer qu’on peut faire de la buée sur les vitres avec. Nous attendons pour le moment les masques chirurgicaux et FFP2 promis : à l’heure actuelle, nous ne les avons toujours pas vus.
Au-delà des aspects matériels, il faut de la transparence sur la gestion des protocoles et des indicateurs sanitaires qui le sous-tendent. Actuellement, alors que l’on vit un «raz-de-marée» d’après le ministre de la santé, le niveau de protocole n’est que de deux en collège et en lycée (il y a quatre niveaux en tout). Faut-il une comète pour qu’on passe au niveau trois ? Il faut aussi insister sur les conséquences pédagogiques à long terme de la pandémie, qui ont déjà conduit le ministère à repousser les évaluations nationales de mi-CP et qui devraient également conduire à réorganiser les épreuves de spécialité du baccalauréat général et technologique, qui doivent normalement débuter le 14 mars.
Enfin, il faut absolument que les personnels soient respectés sur un plan matériel comme sur un plan moral. On ne doit pas balancer des changements structurels du jour au lendemain, on doit nous informer à l’avance pour que chaque école, collège ou lycée ait le temps de s’organiser et de dialoguer avec les parents et les élèves. Et il faut joindre l’action à la parole. C’est très gentil de nous dire que nous effectuons un travail formidable dans des conditions difficiles depuis près de 2 ans ; ce sera encore mieux quand cette surcharge et cet engagement seront reconnus par une prime. Là, pour le moment, on nous délègue des missions sanitaires, on nous contraint à un enseignement en pointillé, le tout pour les beaux yeux du ministre… que l’on ne peut de toute façon pas voir, car à Ibiza, ils sont cachés derrière des lunettes de soleil.