C’était le bon temps ? Sans verser dans une nostalgie primaire, il est vrai que nos professeurs étaient respectés et que l’école, ascenseur social, fonctionnait auparavant. Il est vrai également que ce système était perfectible puisque les chances n’étaient pas les mêmes en fonction de sa naissance.
Le Lycée Professionnel était alors la voie de garage car n’y accédaient que les élèves dont les moyennes des enseignements généraux ne permettaient pas de faire partie des 5 % des jeunes qui accédaient au Baccalauréat. En quelque sorte, le destin voulait qu’un parent ouvrier engendre un enfant ouvrier. Triste sort de la majorité des élèves qui possédaient une intelligence autre que scolaire. Il se trouvait pourtant des professeurs qui les accueillaient et qui, par passion et par conviction, permettaient à tous ces jeunes de prendre une place dans la société, en pratiquant un métier manuel utile et reconnu.
Qu’en est-il aujourd’hui ? L’institution dit à qui veut bien l’entendre que les filières professionnelles sont des voies d’excellence et qu’elles sont reconnues au même titre que les autres filières. Les médias eux parlent d’apprentissage, amalgamant deux systèmes parallèles menant il est vrai à la délivrance d’un diplôme professionnel. Ce n’est pas le sujet du moment, mais cela méritera sans doute une réflexion ultérieure.
Intéressons-nous ici au métier de professeur de lycée professionnel. C’est bien connu, il y a tellement de personnes intéressées par ce métier que les concours font le plein d’étudiants ayant un parcours universitaire étincelant et ayant une volonté farouche de renverser des montagnes. Oui, c’est vrai, mais pour quelques mois ou quelques années. Ou pas du tout.
Le métier a tellement changé que de nombreux collègues font part de leur désarroi, de leur impuissance, voire de leur colère face à un système de plus en plus exigeant sans donner les moyens en retour. A écouter les collègues en salle des professeurs, vous remarquerez la même lassitude sous-jacente, à devoir faire un autre métier que celui auquel on a souscrit en passant le concours.
Premier écueil : l’hétérogénéité du public. Nous sommes sensibles à ce type d’élèves, car, quoiqu’on en dise, c’est le lot quotidien du PLP. Il est à souligner que les collègues de collège comprennent dorénavant cet état de fait et que nos collègues de lycée général, jusqu’alors encore un peu protégés, doivent faire face maintenant aux mêmes soucis que nous. Simple décalage me direz-vous, logique. Mais est-ce que l’hétérogénéité est un problème ? A vrai dire, non, nous sommes enseignants et notre rôle est de nous adapter au mieux à chaque élève dans un parcours individualisé. Oui mais, à vingt-quatre parcours individualisés par classe, ça commence à devenir ingérable. Nous ne sommes pas des surhommes !
Vient s’ajouter un deuxième écueil : Affelnet, ou la merveilleuse procédure d’affectation opérée par les collèges. Plus de sélection en LP ! (Qui est un gros mot dans l’Éducation Nationale). Vous ne voyez pas le rapport ? Il est pourtant simple et implacable. Avant, il était encore possible de sélectionner des élèves qui choisissaient une filière précise. Aux personnes qui vont crier au scandale d’une sélection injuste, je répondrai que souvent, très souvent, les dossiers retenus n’étaient pas ceux des élèves ayant des moyennes. Par contre, il s’agissait d’élèves ayant des remarques de savoir-être exemplaires, élèves capables de comprendre les règles d’apprentissage et capables de comprendre les exigences d’un métier et donc les exigences des professeurs connaissant le métier. Tout cela a disparu car maintenant, il faut trouver une place, et nous nous retrouvons de plus en plus souvent avec des élèves n’ayant pas choisi la filière, car bénéficiant de bonus pour qu’ils trouvent absolument leur place. Les bonus sont alors légions, et nous, PLP, devons faire au mieux avec la multitude.
Vous argumenterez alors qu’il n’est pas acceptable de laisser sur le côté des élèves, a fortiori ceux qui présentent des difficultés, et vous aurez naturellement raison. Cependant, le système actuel est défectueux de ce point de vue précis. Les élèves désirant une filière professionnelle par intérêt n’y accèdent pas, d’autres élèves prennent ces places, et les professeurs constatent amèrement les errances du système qui ne tient plus assez compte des aspirations de l’élève. L’Éducation Nationale n’ayant pas les moyens de recevoir en différenciant les élèves, on se retrouve à gérer des élèves avec des handicaps, parfois profonds, des élèves avec une éducation et une volonté fluctuante, voire défaillante, et des moyens mis à sa disposition qui stagnent, voire diminuent.
Le tableau ne serait pas complet si on oubliait le troisième écueil : l’Institution. Je ne doute pas un instant que toutes instances ministérielles et rectorales œuvrent au mieux pour le bien de la communauté éducative. C’est une certitude. Mais ce qui certain également, c’est que les injonctions paradoxales sont devenues la norme et que le discours politique ne devrait pas être en opposition avec les décisions prises sur le terrain. Liberté pédagogique affichée, paradoxalement bridée par des programmes tellement détaillés que le chemin est tout tracé. Reconquête du mois de juin, mais des dates limites de rentrée des notes sur le serveur des examens toujours plus tôt en fin d’année. Deux exemples non exhaustifs. Mais la plus pernicieuse est sans doute celle qui prétend faire la part belle aux LP en vantant les mérites de l’apprentissage.
Le quidam moyen devant sa télévision ne fera pas la différence. Les amis avec qui vous discuterez ne verront pas la différence. Alors ceux-ci vous diront qu’il est normal d’accepter des élèves sous statut initial et sous statut apprenti dans une même classe, qu’ils ne voient pas le problème.
Comment oser parler de Voie Professionnelle d’Excellence quand on donne des moyens extraordinaires au CFA, sans compter les publications et publicités, tout en laissant les LP à moyen constant se débrouiller pour gérer ce que les autres centres de formation ne veulent pas ? Comment fait-on pour accompagner ces élèves méritants au mieux alors que les effectifs en classe ne laissent aucune chance à la différenciation des parcours ? Comment fait-on pour justifier aux élèves en formation initiale qu’un ou deux de leurs camarades sont sous statuts apprenti et qu’ils gagnent un peu d’argent ? Comment justifier que le statut d’apprenti est souvent proposé aux élèves qui ne sont pas les plus méritants, mais ceux qu’on ne veut pas perdre car sinon, les effectifs du LP vont diminuer et potentiellement induire des fermetures de sections ? Comment accepter que des formations en apprentissage soient refusées par les Rectorats alors même que les équipes administratives et pédagogiques sont volontaires et prêtes à s’impliquer unanimement pour mener à bien ces projets novateurs et motivants ?
Vous l’aurez compris, les PLP on les aime. Mais il serait temps maintenant de le montrer en actes et non plus en paroles. Tout le monde y gagnerait. Les LP retrouveraient sans aucun doute leurs lettres de noblesse. C’est à ce prix que la voie professionnelle redeviendra une voie d’excellence. Le SNALC sera là pour montrer du doigt les incohérences du système et proposer, encore et encore, des solutions car la seule finalité de notre action et de notre métier, c’’est d’accompagner et former des élèves qui sont le futur de la Nation.