La crise du recrutement s’aggrave, Jean-Rémi Girard, président du SNALC, explique les raisons de ce manque d’attractivité.
Jean-Rémi Girard, président du SNALC, syndicat de l’école au supérieur, répond aux questions de Delphine Bancaud pour le 20 minutes le 5 juillet 2022
- Il y a moins d’admis que de places à pourvoir dans le premier degré en Ile-de-France. Et de nombreux postes ne seront pas pourvus dans plusieurs disciplines du second degré au niveau national.
- Une situation pas nouvelle, mais qui s’aggrave et qui est due à plusieurs causes, notamment le manque d’attractivité salariale du métier.
- Les académies vont devoir notamment avoir recours à davantage de contractuels, afin de mettre un prof devant les élèves dans chaque classe.
« Tu veux faire quoi plus tard ? ». « Je veux être prof ». Un dialogue qu’on aimerait entendre plus souvent, mais qui hélas, se raréfie ces dernières années dans notre pays. Preuve en est, encore, avec les résultats définitifs des concours externes enseignants publiés en fin de semaine dernière, qui affichent pour certains des taux de réussite historiquement bas. Dans le premier degré, certaines académies n’ont pas fait le plein de nouveaux professeurs des écoles. A l’instar de Versailles, qui compte 424 admis pour 1.430 postes proposés, celle de Créteil (419 pour 1.079) et celle de Paris (157 sur 219). Ailleurs en France, des postes sont restés vacants : 14 à Nancy-Metz, 11 à Grenoble, 7 à Amiens, 6 à Dijon, 4 à Besançon et 3 à Nice.
La situation est pire dans le second degré, notamment dans certaines disciplines. En maths, on compte 557 admis au Capes pour 1.035 postes, en allemand 60 sur 215, en lettres classiques 55 sur 134, en physique-chimie 209 pour 425, en SES 102 pour 212, en lettres modernes 598 sur 755 postes, en éducation musicale 37 sur 127 postes, en anglais 675 sur 781. « Les trois disciplines qui sont structurellement compliquées sont les maths, l’allemand et les lettres classiques. Mais on voit que certaines disciplines qui n’étaient pas touchées par le phénomène, comme les SES, commencent à l’être », souligne Jean-Remi Girard, président du Syndicat national des lycées et collèges (Snalc). Ce déficit est d’autant plus dommageable que les départs définitifs volontaires, parmi les enseignants du public en poste à l’Éducation nationale, ont fortement augmenté : ils sont passés de 1.554 en 2019-2020 à 2.286 en 2020-2021. « On est vraiment dans une situation dramatique », souligne Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU, premier syndicat du secondaire.
Les causes de cette chute des vocations sont multiples. Tout d’abord, les concours ont été réformés lors du quinquennat précédent et sont désormais passés par les candidats en deuxième année de master, et non plus en fin de licence. « Cela a réduit mécaniquement le vivier des candidats pour cette session », explique Jean-Remi Girard. Par ailleurs, le manque d’attractivité salarial se pose. Les enseignants du primaire et du secondaire gagnent 7 % de moins que la moyenne des pays de l’OCDE, et 20 % de moins après dix ou quinze ans de service, selon le rapport annuel Regards sur l’éducation publié en septembre 2021. « Le déclassement salarial est une réalité », insiste Sophie Vénétitay. Le fait que les académies d’ Ile-de-France manquent de nouveaux professeurs des écoles n’est donc pas un hasard. « Il y a un effet coût de la vie qui vient s’ajouter au fait que les salaires soient peu attractifs », souligne Jean-Remi Girard. Enfin, « certaines disciplines, comme l’économie-gestion ou les mathématiques, sont concurrencées sur le marché du travail privé par des emplois plus rémunérateurs », ajoute Hélène Buisson-Fenet, directrice de recherche au CNRS en sociologie de l’éducation.
Pour autant, le nouveau ministre de l’Education, se veut optimiste pour la prochaine rentrée. « Il y aura un professeur devant chaque classe à la rentrée » a ainsi affirmé Pap Ndiaye le 14 juin. Sans convaincre tous les acteurs. « Il y aura des trous dans la raquette », a prédit en mai le secrétaire national du Syndicat national des personnels de direction de l’Éducation nationale (SNPDEN-Unsa), Bruno Bobkiewicz. Dans le premier degré, deux concours supplémentaires, organisés dans les académies de Versailles et de Créteil (dont les résultats seront connus début juillet), devraient permettre de recruter plus d’enseignants. Par ailleurs, des rectorats ont déjà prévu de miser sur les listes complémentaires des autres concours (internes et troisième voie *).
Plusieurs académies ont aussi lancé des opérations de recrutement de contractuels. Selon les chiffres de la Rue de Grenelle, ils représentent 1 % des effectifs enseignants dans le premier degré et 8 % dans le second. Mais Hélène Buisson-Fenet constate que leur nombre a beaucoup augmenté ces dernières années : « Sur la période 2008-2020, le taux de contractuels a progressé de 4 %. » Ces mêmes contractuels ne bénéficient que d’une formation de quelques jours seulement, ce qui est bien souvent insuffisant pour savoir gérer une classe. « C’est une formation structurée qui se renforce d’année en année », a pourtant défendu Pap Ndiaye.
Jean-Remi Girard prévoit déjà qu’ils seront plus nombreux dans certains établissements à la rentrée : « Notamment dans ceux de l’éducation prioritaire et en zone rurale. Et dans les académies de Versailles et de Créteil. » Le 22 août, des cellules seront mises en place dans les académies pour gérer les problèmes d’effectifs qui se poseront. Restera aussi à savoir si les contractuels embauchés resteront en poste : « Certains abandonnent au bout d’un mois », souligne le syndicaliste. La difficulté sera par ailleurs d’assurer les remplacements d’enseignants qui seront en arrêt maladie et en congé maternité en cours d’année.
Une grande concertation doit débuter en septembre à propos des rémunérations et des conditions de travail des enseignants. « L’augmentation du salaire pourrait avoir des effets sur les primo entrants, notamment dans le premier degré, où les indemnités et les primes sont quasi inexistantes », estime Hélène Buisson-Fenet. « Il va falloir opérer un rattrapage global des salaires et ne pas se contenter de revaloriser les débuts de carrières, si l’on veut vraiment redonner de l’attractivité au métier », conclut Jean-Remi Girard.